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ANNEE 2010
Jeudi 29 avril 2010
Plaisirs
Santiago ALBA RICO
Il y a des expériences tellement intenses qu’elles sont dépourvues
d’étendue. Il y a des émotions tellement collées
à notre poitrine qu’il est impossible de les situer ailleurs. On
peut dire que c’est cela que tous nous appelons, en Australie, en Espagne,
en Chine, « plaisir » et « douleur » ; c’est-à-dire
le fait de n’être ni en Australie, ni en Espagne, ni en Chine lorsque
nous frémissons. Mon crâne ne me fait pas mal quelque part dans
le monde, mais dans mon propre crâne ; je ne ressens pas cette rage de
dents quelque part dans l’extension de mon corps, mais dans une sorte
d’intimité sans fenêtres ; mes reins ne me font pas souffrir
un certain mardi, énième jour de mars, mais en ce pur présent,
en cette éternité concrète. Il en est de même avec
le plaisir dont les plus courtes intensités suppriment également,
tant qu’il dure, tous les liens avec le monde et avec le temps. Dans leur
relation avec le monde, il y a peu de différence entre la souffrance
et la jouissance : le plaisir est une douleur blanche, la douleur est un plaisir
noir. La colique néphrétique et l’orgasme nient autant l’un
que l’autre le soleil, les arbres, la bouteille posée sur la table,
notre généalogie et notre histoire, la main qui nous porte secours
et même le corps que nous étreignons dans nos bras. Ceci dit, la
souffrance est un plaisir qui nous expulse, dans lequel nous ne voulons pas
rester, qui pour cette raison même exige, en même temps, une explication
et une issue et qui cherche à se frayer un passage, comme les griffes
d’une taupe, pour retourner dans ce monde d’où elle a été
arrachée. Si les révolutions se font à partir de la souffrance
- l’aiguillon de la realité cloué dans le corps, comme disait
Simone Weil - c’est precisément parce que la souffrance nous fait
fuir et parce que nous ne pouvons la fuir qu’en nous dirigeant vers les
autres et vers l’extérieur. C’est pour bloquer ce retour
à l’humanité - de la migraine à la réflexion,
de la colique néfrétique à la révolte - qu’ont
été inventés les antidépresseurs, la religion…
et les plaisirs. L’industrie capitaliste du divertissement dissout le
monde commun bien plus efficacement que les somnifères et les confessionnals.
Le plaisir est une douleur qui nous retient, une douleur dans laquelle nous voulons nous installer. Sans une bourrade, nous y resterions vautrés pour toujours. Les plaisirs les plus élémentaires sont - bien entendu - le sexe et la table, et c’est contre leur insociabilité viscérale qu’ont été inventés quantité de procédés culturels raffinés. L’amour et ses mains attentionnées, ne sont-ils pas des dispositifs pensés pour mettre l’autre à portée du regard, tellement loin que nous puissions, pour la première fois, le toucher au lieu de le manger ? Et les manières de table, la gastronomie, les repas pris en compagnie, ne sont-ils pas des inventions conçues pour nous retenir hors de nos tripes, pour que la bouche qui mâche soit aussi obligée de parler et de reconnaître, de ce fait, l’existence des autres commençaux ? Le contraire de l’amour c’est la guerre, avec ses corps crus exposés à l’immédiateté aveugle des violeurs ; le contraire du banquet platonique c’est la faim de loup et ses digestions rapides, solitaires, ombrageuses. Le défaut de la prostitution et du fast-food, qui ont tant de points de ressemblance, c’est qu’ils nient ou annulent le monde commun ; ils n’ont lieu nulle part, ils n’arrivent à personne, ils n’établissent aucune relation. Est-ce un hasard si le capitalisme dépense beaucoup plus, chaque année, à détruire des relations - pour ne pas parler des êtres humains réels - qu’à en créer ? Est-ce un hasard si la prostitution génère un chiffre d’affaire de 18 milliards d’euros rien qu’en Espagne et si elle mange sans cesse 400.000 personnes, si la société McDonald a 60 millions de clients quotidiens de par le monde et si elle vend, par an, pour 22 milliards de dollars de mal-bouffe ?
J’ai déjà dit que que la plus ou moins grande qualité d’une société donnée est moins révélée par les souffrances qu’elle impose à ses victimes que par les plaisirs qu’elle procure à ses bénéficiaires. L’essence du capitalisme se manifeste, bien sûr, dans ses usines, ses camps de réfugiés, ses murs en guise de frontières, ses prisons ; mais elle se manifeste aussi - ou peut-être plus encore - dans ses centres commerciaux, ses parcs à thèmes, ses aéroports, ses programmes de télévision, ses stades. On fuit le chômage et l’emploi précaire, comme toujours, en se réfugiant dans la religion et les tranquillisants, mais aussi en se tournant vers les plaisirs industriels que le capitalisme, sur le modèle de la prostitution et du fast food, à une échelle différente et par des voies diverses, fournit aux pauvres comme aux riches.
Y a-t-il un autre modèle ? En 1956, peu de temps avant de mourir, Bertolt Brecht a écrit un très beau poème avec, pour titre, Vergnügungen, que certains traduisent par « plaisirs » et d’autres par « satisfactions ». Je préfère ce dernier mot dérivé du latin « satis » (assez, suffisamment) parce que d’entrée il situe le regard dans les limites du monde, hors du corps et ses intimités infinies. Dans Satisfactions le poète allemand offre une liste presque orientale de plaisirs qui nous ouvrent vers l’extérieur (regarder par la fenêtre, nager, des visages rayonnants d’enthousiasme, le vieux livre retrouvé, la neige, des souliers parfaitement faits à nos pieds, la dialectique) totalement incompréhensibles - langue morte, étrange, parfaitement ennuyeuse - pour un client de McDonalds et de Wal-Mart, un spectateur de la FOX ou un admirateur de Fernando Alonso et de Cristiano Ronaldo. De toutes ces minuscules « satisfactions » que procure l’extension, il y en a deux désormais presque éteintes, comme les dinosaures et les bisons, incompatibles avec l’ordre du marché capitaliste et qui, vues depuis le dernier modèle d’automobile ou depuis Disneyland, nous semblent extravagantes et perverses, presque scandaleuses : « comprendre » et « être aimable ».
Pourquoi pensons-nous qu’il est aujourd’hui impossible de trouver du plaisir à « comprendre » et à « être aimable » ? Parce que contrairement à la prostitution et au fast-food, à l’inverse de la colique néphrétique et de l’orgasme, la pensée et l’amabilité sont deux formes distinctes de reconnaître l’existence du monde. Les deux se comportent face aux choses et face aux hommes comme le naufragé face aux enfants, ces enfants qu’il faut laisser passer en premier au moment d’abandonner le navire qui coule. « Comprendre » est un exercice de bonne éducation envers l’objet : c’est lui donner la parole, c’est le laisser passer avant nous, c’est lui laisser notre place assise. Le zoologiste, pour ainsi dire, laisse parler les animaux, le physicien laisse parler l’atome, le philosophe laisse parler les concepts. Mais être aimable c’est, en même temps, une façon de (re)connaître notre prochain, de comprendre son existence comme égale à la nôtre, d’établir des rangs et des hiérachies à contre-courant des classes sociales (la supériorité du petit vieux, du malade, de l’enfant…) chaque fois que je dis « S’il vous plaît », que je cède le passage, que je me montre souriant, aimable ou complaisant, que je m’arrête et que je consacre une minute, arrachée au temps continu de la digestion, pour m’intéresser à mon voisin, je suis en train de connaître la fragilité des autres et je déclare à haute voix ma propre fragilité. Sous le règne du capitalisme, à Madrid, à Sydney et, aussi - je le crains fort- à Pékin, une déclaration de fragilité c’est déjà une invitation au mépris et à l’agressivité. Dans les grandes villes européennes, ne sont désormais « aimables » que ceux qui ont quelque chose à cacher ou à craindre : les immigrants, dont la courtoisie même les met à la merci de tous les coups et de tous les abus. Le poème de Brecht se termine sur ce vers très court : « être aimable ». C’est aussi la condition implicite de toute société juste, le premier article tacite de toute construction politique. Le communisme c’est l’ensemble des processus complexes - économiques, sociaux, technologiques… - qui permettent ces plaisirs simples. Celui d’ouvrir la fenêtre lorsqu’on se lève et de reconnaître le monde extérieur ; et celui d’ouvrir les yeux et de reconnaître, d’un geste, la supériorité d’un enfant, d’un vieux, d’un malade. Et les plaisirs - bien sûr aussi celui de nager, de lire, d’écouter de la musique, de contempler les fleurs ou la neige, de porter des souliers parfaitement faits à nos pieds et de goûter le ravissement que procure le visage enthousiaste de l’ami ou de l’être aimé.
Santiago Alba Rico La Calle del Medio http://www.rebelion.org/noticia.php?id=104238
Traduction par Manuel Colinas
JUILLET 2010
Photo : une pile de livres (RLHyde/Flickr).
La microédition, laboratoire fragile de la création littéraire
Je vous propose de suivre mon aventure dans l'univers impitoyable du livre et de l'édition. Je vous donnerai aussi mon opinion au regard de l'actualité, des parutions, et des évènements culturels du monde littéraire.
Alexandre K. Ounadjela
La France est probablement le pays du monde où le système d'aide à la création littéraire est le plus complet et le mieux rodé : prix, foires, salons du livre, bourses de création, résidences d'écrivains. A cela on ajoute un réseau assez dense de libraires et points de vente.
Ce système français du livre, permet à de nombreux écrivains de vivre et d'accéder à la notoriété. Cette espérance de vie prolongée des auteurs se fait aussi grâce aux microéditeurs.
Qu'appelle-t-on un microéditeur ?
Le vocabulaire courant tendrait à définir la petite édition
par rapport à la grande. Cependant il n'est pas rare qu'un petit éditeur
en cache un gros, dont il n'est en fait qu'une extension, par le biais d'une
collection par exemple.
Le vrai petit éditeur c'est le microéditeur, qui est totalement indépendant. Il est en général diffusé par lui-même, on appelle ça « l'autodiffusion ». Quand il commence à être reconnu il peut être diffusé par un distributeur spécialisé dans les maisons dites « de taille restreinte ».
Une maison de taille restreinte ne fonctionne pas comme les autres maisons de taille plus importante. En général elle fonctionne avec une ou deux personnes en plus de « l'éditeur », souvent sur la base du bénévolat. Vivre de cette activité n'est pas simple, souvent c'est un violon d'Ingres, parfois coûteux, souvent dévoreur de temps.
La microédition, refuge d'un Michel Houellebecq débutant
Les gros éditeurs -je dis bien les gros pas les grands, car on peut être petit et grand dans l'édition, rarement petit et gros, c'est bizarre mais c'est comme ça- les gros éditeurs donc, disent que publier des écrivains médiocres mais vendeurs permet d'éditer des écrivains plus talentueux, mais plus difficiles à lire.
C'est parfois vrai, mais dans la plupart des cas, ces écrivains au talent non-reconnu ne trouvent refuge que chez un microéditeur. Lorsqu'un débutant au talent complexe, sous entendez qui ne vendra pas assez, a été refusé par les grosses maisons, il se tourne vers les microéditeurs. S'il parvient au succès, sous entendez s'il atteint le seuil de rentabilité exigé par une grosse maison, il arrive qu'il quitte son microéditeur pour la grosse structure qui lui permettra plus facilement d'accéder à la notoriété et aux différents prix qui font vendre plus.
Il est des exemples édifiants, comme celui de Michel Houellebecq.
Publié d'abord par un éditeur courageux (Maurice Nadeau) mais disposant de peu de moyens, il a bénéficié de l'extraordinaire richesse de la petite édition qui, seule, s'est engagée à le soutenir et à le porter vers le public alors que les grandes maisons lui ont toutes fermé la porte au nez.
De même, Philippe Claudel a publié des livres chez une tout petit éditeur avant de connaître le succès chez Stock avec « Les Ames grises ». POL, à l'époque où il était petit et indépendant, a eu le courage de soutenir l'œuvre difficile, mais essentielle, de Valère Novarina.
Sans les petits éditeurs, la poésie
ne survivrait pas en France
Cette diversité des maisons d'édition, tant par la taille que
par leur spécialisation, est un élément déterminant
du système littéraire français. Sans les microéditeurs,
beaucoup d'auteurs ne parviendraient pas à trouver leur place. Non que
dans les petites structures on publie des ouvrages plus intéressants
que chez Gallimard ou chez Flammarion. A ma connaissance le choix n'y est proportionnellement
ni pire ni meilleur. Mais elles exercent plusieurs fonctions essentielles :
•permettre à des inconnus d'accéder
à la publication,
•assurer la survie de genre peu commerciaux,
•rééditer certains écrivains oubliés ou étrangers.
Sans la microédition, la poésie, en France, ne survivrait pas.
Les microéditeurs de poésie sont innombrables et dévoués.
Souvent ils publient aussi des beaux livres, où l'artiste s'associe avec
un écrivain, un poète. Sans eux on ne pourrait lire ceux qui animent
avec intensité une vie de poésie quotidienne. Ce ne sont pas Le
Seuil ou Flammarion qui gaspilleraient un centime en publiant de jeunes poètes.
La vocation de ces grosses maisons c'est le chiffre d'affaire.
Erotisme et canulars… Les genres mineurs chez les petits éditeurs
Ce phénomène n'est pas nouveau, mais il a tendance à s'accentuer avec le phénomène de concentration qui touche le secteur de l'édition. Il y a cinquante ans, les grands éditeurs misaient plus sur le fonds, moins sur le côté marchand et les ventes rapides. Dans les années 60 et 70, celles du boom économique et culturel, les éditeurs importants prenaient plus facilement le risque de textes difficiles et d'auteurs peu connus, de peur de rater le train de la fin de siècle et l'an 2000.
Ce ne sont pas seulement les auteurs inconnus ou marginaux, ou les futurs grands écrivains, qui trouvent refuge dans les petites maisons, ce sont aussi les genres mineurs, négligés ou provisoirement méprisés, comme autrefois le roman :
•érotisme,
•satire,
•canulars,
•insolite,
•faux dictionnaires,
•catalogues d'expositions loufoques…
Ces récits incongrus, issus d'univers imaginaires ne sont pas tous réussis,
mais la microédition demeure le principal lieu d'expérimentation
et d'invention, sans lesquelles une littérature ne vit pas.
Beaucoup d'auteurs étrangers doivent également passer par de toutes petites maisons pour trouver un public.
Enfin, c'est bien souvent chez un microéditeur que l'amateur trouvera :
•des rééditions d'auteurs oubliés,
•des textes rares de grands auteurs,
•des ouvrages qui ont eu leur importance dans l'histoire de la littérature
ou des idées.
Les libraires croulant sous l'accumulation de romans, comment trouver un espace
pour un recueil de poésie tiré à trois cents exemplaires,
mal distribué, et dont on vendra un ou deux en six mois ? Non seulement
les journalistes accordent presque toute la place, à chaque rentrée
littéraire, à deux ou trois livres publiés par Gallimard,
Grasset ou Albin Michel, mais les prix les plus connus vont systématiquement
aux grandes maisons.
Enfin, comme s'il fallait définitivement en finir avec la diversité et avec l'édition indépendante, leurs tirages massifs envahissent les rayonnages, et s'entassent en piles dans les Fnac.
Des problèmes de visibilité et d'argent
pour les petits éditeurs
On publie environ sept cents romans français en septembre. Cette abondance
ne signifie pas que le lecteur a vraiment le choix car les mémoires de
Loana ou le dernier roman de PPDA ne sont pas plus excitants qu'un récit
issu de la microédition.
Mais, en l'absence de véritable information, le lecteur moyen ne choisit pas : il prend ce qu'il voit et ce dont tout le monde parle. Certains ont les moyens de lui faire croire qu'il choisit, ça s'appelle le marketing.
On s'étonne donc parfois des mauvais commentaires des grosses maisons, je dis bien grosses mais pas grandes, qui s'en prennent aux plus petites pour leur reprocher de n'avoir qu'un succès de snobisme, ou d'encombrer les tables des libraires. Il ne suffit pas aux gros éditeurs d'être riches, il faut aussi que les autres n'aient pas le droit d'exister.
Un microéditeur, à moins de bénéficier d'une fortune personnelle ou de gagner au Loto, finit souvent par être dévoré par un plus gros. S'il veut survivre et demeurer indépendant, il doit souvent avoir recours aux aides à la publication apportées par le Centre national du livre (CNL).
Mais celui-ci ne peut pas soutenir tout le monde, et qui plus est lorsqu'à sa tête on trouve, comme ce fut le cas de 2005 à 2008, un directeur de collection des éditions du Seuil, cela peut faire douter de l'équité de certains choix.
AOUT 2010
LA CONSTRUCTION POÉTIQUE DE LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU DE MARCEL PROUST
de DAVID ORBACH
Article paru dans le journal Agoravox.fr
Pour ceux qui souhaitent comprendre les mécanismes de construction de la beauté poétique, beauté qui ne peut être le fruit du hasard, nous nous proposons d’en exposer un ici, en choisissant l’oeuvre d’un monstre : Marcel Proust.
D'où vient la beauté de la Recherche? Comment son auteur a-t-il construit techniquement son écriture afin de rendre à la fois physique la joie exprimée par le sens poétique de certains passage de son texte et d’en préserver en même temps le mystère ?
Un passage décrivant le style de Bergotte au sein même de l’oeuvre, nous le dit :
A un point de vue plus accessoire, la façon spéciale, un peu trop
minutieuse et intense, qu'il avait de prononcer certains mots, certains adjectifs
qui revenaient souvent dans sa conversation et qu'il ne disait pas sans une
certaine emphase, faisant ressortir toutes leurs syllabes et chanter la dernière
(comme pour le mot "visage" qu'il substituait toujours au mot "figure"
et à qui il ajoutait un grand nombre de v, d' s, de g, qui semblaient
tous exploser de sa main ouverte à ces moments), correspondait exactement
à la belle place où dans sa prose il mettait ces mots aimés
en lumière, précédés d'une sorte de marge et composés
de telle façon dans le nombre total de la phrase, qu'on était
obligé, sous peine de faire une faute de mesure, d'y faire compter toute
leur "quantité". (c'est nous qui soulignons)
Ce passage nous dit que Bergotte travaille donc les syllabes et les consonnes pour obtenir ses effets. Proust fait-il de même ? Appliquons directement son propos sur ses propres textes, les plus forts, ceux où la sensation est la plus extraordinaire et attachons nous à écouter les sons comme s'il s'agissait d'un poème.
Les carafes dans la Vivonne
Je m'amusais à regarder les carafes que les gamins mettaient dans la
Vivonne pour prendre les petits poissons, et qui, remplies par la rivière,
ou elles sont à leur tour encloses, à la fois "contenant"
aux flancs transparents comme une eau durcie, et "contenu" plongé
dans un plus grand contenant de cristal liquide et courant, évoquaient
l'image de la fraîcheur d'une façon plus délicieuse et plus
irritante qu'elles n'eussent fait sur une table servie, en ne la montrant qu'en
fuite dans cette allitération perpétuelle entre l'eau sans consistance
où les mains ne pouvaient la capter et le verre sans fluidité
où le palais ne pourrait en jouir.
Isolons un extrait de ce morceau de bravoure de Marcel Proust :
à la fois "contenant" aux flancs transparents comme une eau
durcie, et "contenu" plongé dans un plus grand contenant de
cristal liquide et courant,
Observons la première partie de cette phrase.
/à la fois "contenant" /aux flancs/ transparents/ comme une
eau durcie/
Chaque mot, sauf le dernier, se termine par une syllabe commune en "-an"
/ã/ et donc rime comme s'il s'agissait d'un poème.
Mais il manque quelque chose car la dernière syllabe "eau durcie
(1) " ne rime pas. Elle crée une surprise sonore en finissant en
/i/ (durcie). Nous attendons donc un mot rimant avec le reste et c'est son absence
qui engendre la sensation "délicieuse et irritante" du mot
que l'on a sur le bout de la langue.
Proust a donc bien, comme Bergotte, fait "ressortir toutes leurs syllabes
et chanter la dernière"
Mais ce mot manquant devant se finir en "-an" et remplacé par
"durcie" dans "eau durcie", quel est-il ?
Il doit être très fréquent pour que nous puissions tous
songer au même. Après "eau" c'est bien évidemment
"courante", expression très populaire de notre langue, qui
surgit. C’est un lieu commun verbal. Le délice de la sensation
vient de ce qu'à la fois nous pensons à "eau courante"
parce que la suite de syllabes rimant en "-an" nous y force, et qu'en
même temps, Proust nous oblige à lire "eau durcie".
Le travail de Proust est donc de réaliser un "à peu-près"
de langage afin de nous donner physiquement la sensation "délicieuse
et irritante" du mot que l'on a sur le bout de la langue. Cette approximation
de la rime n'est pas un défaut d'écrivain essayant de faire des
vers sans y arriver : C'est le fondement même de son esthétique.
Car c'est elle qui, par l'offrande non comblée de ce mot en suspens,
fait naître le désir.
Et c'est ici que le sens rejoint le son de l'écriture, car l'adjectif
"courante" s'applique très bien à la rivière.
L'écrivain a donc magnifiquement mélangé les carafes à
la rivière, par le son, comme le texte nous le raconte par le sens en
s'appuyant sur l'expression métonymique classique, disons même
générique " boire un verre".
La portion de phrase suivante :
"contenu" plongé dans un plus grand contenant de cristal liquide
et courant,
De la même manière et même si c'est moins net que dans l'exemple
précédent, nous pensons que "cristal liquide et courant"
remplace le mot absent "cristallisé" qui rimerait alors avec
"plongé".
"contenu" plongé/ dans un plus grand contenant de cristal liquide
et courant,
Le terme "cristallisé" convient parfaitement aux carafes dont
les parois transparentes ressemblent à de l'eau cristallisée.
Observez maintenant la très stricte correspondance des quatre termes
que nous venons de découvrir :
eau courante <> cristal liquide et courant
cristallisé <> eau durcie
---------------------------------------------------------
- Horizontalement, les termes s'associent par leur sens et par leur rime: l'eau
durcie est comme cristallisée, l'eau courante est comme un cristal liquide
et courant. La rime entre "durcie" et "cristallisé"
est évidemment approximative - Proust n'a pas fait un poème (
c'est un à-peu-près) mais elle est réelle "cie"
et "sé" sont tous deux très brefs et phonétiquement
proches .
- Verticalement, les termes s'opposent par leur sens et leur rime : l'eau courante
n'est pas cristallisée, l'eau durcie n'est pas liquide et courante.
- En diagonal, les termes se lient par leur remplaçants : "eau durcie"
(écrit dans le texte) remplace "eau courante" (suggéré
par la rime), "cristal liquide et courant" (écrit dans le texte)
remplace "cristallisé" (suggéré par la rime).
Si Marcel Proust a bien construit son texte comme nous venons de le décrire nous devrions retrouver dans d'autres endroits les mêmes effets. C'est ce que nous allons démontrer maintenant en étudiant le texte le plus brillant de la Recherche :
La couleur orangée du nom de Guermantes.
Jamais dans la promenade du côté de Guermantes nous ne pûmes remonter jusqu’aux sources de la Vivonne, auxquelles j’avais souvent pensé et qui avaient pour moi une existence si abstraite, si idéale, que j’avais été aussi surpris quand on m’avait dit qu’elles se trouvaient dans le département, à une certaine distance kilométrique de Combray, que le jour où j’avais appris qu’il y avait un autre point précis de la terre où s’ouvrait, dans l’antiquité, l’entrée des Enfers. Jamais non plus nous ne pûmes pousser jusqu’au terme que j’eusse tant souhaité d’atteindre, jusqu’à Guermantes. Je savais que là résidaient des châtelains, le duc et la duchesse de Guermantes, je savais qu’ils étaient des personnages réels et actuellement existants, mais chaque fois que je pensais à eux, je me les représentais tantôt en tapisserie, comme était la comtesse de Guermantes, dans le «Couronnement d’Esther» de notre église, tantôt de nuances changeantes comme était Gilbert le Mauvais dans le vitrail où il passait du vert chou au bleu prune selon que j’étais encore à prendre de l’eau bénite ou que j’arrivais à nos chaises, tantôt tout à fait impalpables comme l’image de Geneviève de Brabant, ancêtre de la famille de Guermantes, que la lanterne magique promenait sur les rideaux de ma chambre ou faisait monter au plafond,—enfin toujours enveloppés du mystère des temps mérovingiens et baignant comme dans un coucher de soleil dans la lumière orangée qui émane de cette syllabe: «antes».
La question est la même que dans le paragraphe des carafes dans la Vivonne:
Comment faire ressentir physiquement au lecteur la " lumière orangée
qui émane de cette syllabe: «antes»" du mot Guermantes
?
Reprenons notre façon de procéder : Intéressons nous aux
syllabes finales de ce texte comme s'il était un poème et observons
leur rime "approximative" c'est à dire non pas par leur répétition
en tant que telle, mais par leur caractéristique tel que leur longueur
de son, leur consonne gutturale, plutôt chuintante, etc. bref par leur
caractère.
Y a-t-il ici aussi un "mot remplacé" par un autre et qui va
nous plonger dans la même sensation "délicieuse et irritante"
du mot que l'on a sur le bout de la langue ?
Commençons donc par la fin : L'expression "syllabe: «antes»"
ne fait penser à rien par quoi l'on pourrait la remplacer. Mais si l'on
regarde la phrase qui l’introduit plus haut nous trouvons :
-enfin toujours enveloppés du mystère/ des temps mérovingiens/
et baignant comme dans un coucher de soleil/ dans la lumière orangée
qui émane de cette syllabe: «antes».
Associons les mots rimant ensemble :
mystère <> lumière
mérovingien <> orangée
soleil < ? > syllabe: «antes»
Nous sommes ici au coeur du réacteur de la poétique proustienne
: Notre court tableau montre bien que "soleil" devrait rimer avec
"syllabe: «antes».", comme le fait "mystère"
avec "lumière", et "mérovingien" avec "orangée".
Comme vu plus haut entre les mots "eau durcie" et "eau courante"
du texte des carafes dans la Vivonne, l'expression "syllabe: «antes»"
doit donc remplacer un autre mot finissant en /-eil/ comme "soleil"
et commençant par "syllabe". Il serait parfait qu'il évoque
aussi fortement la couleur orange. Enoncer en ces termes la question est la
résoudre : Le mot recherché est "abeille" (syll-abeille
). Le mot "soleil" appelle à une rime finale en "eille".
Le mot "syllabe" démarre le mot "abeille" (syll-ab-eille).
À lui seul évidemment, "syllabe" ne donne pas envie
de se terminer en "abeille", mais c'est parce qu'il suit de près
le mot "soleil", et parce que depuis le début du paragraphe,
l'alternance de rimes entre les mots produit "un flot caché d'harmonie,
un prélude interieur,"... "faisant ressortir toutes leurs syllabes
et chanter la dernière" que nous cherchons sans le vouloir, ou plutôt,
que nous voulons sans le savoir, faire rimer les mots entre eux comme le texte
nous y invite, plus précisémment, nous y oblige.
Remarquez l'éclatante couleur orange de l'abeille! Observez aussi son
caractère éminemment héraldique puisque son emblème
est indiscutablement lié à la royauté française.
C'est bien elle en effet qui colore en orangé le nom de "Guermantes"
et non la syllabe du mot lui-même (2). Nous sommes donc bien encore une
fois devant la même technique de remplacement d'un mot manquant par un
autre qui va produire, par un procédé ORAL, l’incroyable
surgissement VISUEL de la couleur orange.
D'autres textes
Pour ceux qui douteraient encore, voici d'autres exemples de "rime cachée
avec un expression consacrée populaire et non-dite" :
Parmi les chambres dont j’évoquais le plus souvent l’image
dans mes nuits d’insomnie, aucune ne ressemblait moins aux chambres de
Combray, saupoudrées d’une atmosphère grenue, pollinisée,
comestible et dévote, que celle du Grand-Hôtel de la Plage, à
Balbec, dont les murs passés au ripolin contenaient comme les parois
polies d’une piscine où l’eau bleuit, un air pur, azuré
et salin.
"un air pur, azuré et salin." À l'oreille, le mot inhabituel
"salin" dénote un peu par rapport aux deux autres adjectifs
" pur" et "azuré". Il ne semble pas à sa place
mais nous n'en sommes plus étonnés : C'est le dernier de la phrase!
Il doit cacher autre chose.
"pur" et "azuré" se terminent tous deux par une syllabe
incluant la consonne /r/. Consonne /r/ que nous ne retrouvons pas dans "salin".
Celui-ci remplace donc un autre mot qui assurerait la rime de l'ensemble. Ce
mot en filigrane, quel est-il ? En cherchant nous trouvons aisémment
le mot qui ressemble à "salin" mais qui contient lui un /r/,
c'est "marin". Nous retrouvons une expression familière sous-entendue
dans la mémoire du lecteur : "un air marin". ( remplacé
ici par "un air salin"). L'air marin, n'est-ce pas précisément
ce que doit ressentir le narrateur à Balbec, dans une des chambres du
Grand-Hôtel de la Plage ?
Et voici, pour le plaisir, un dernier exemple pris directement dans la célébrissime description des nourritures entendues et décrites par Albertine" :
La glace a beau ne pas être grande, qu’une demi-glace si vous voulez,
ces glaces au citron-là sont tout de même des montagnes réduites
à une échelle toute petite, mais l’imagination rétablit
les proportions, comme pour ces petits arbres japonais nains qu’on sent
très bien être tout de même des cèdres, des chênes,
des mancenilliers ; si bien qu’en en plaçant quelques-uns le long
d’une petite rigole, dans ma chambre, j’aurais une immense forêt
descendant vers un fleuve et où les petits enfants se perdraient.
Un détail attire notre attention. L'expression "...qu’on sent
très bien être ..." surprend. La langue achoppe entre "bien"
et "être", comme s'il manquait une liaison (bien qu'il n’en
faille pas). Et celle-ci manque en effet si on considère le mot correspondant
dont on a l’habitude : "bien-être" (bien-n-être)
mot usuel qui possède bien lui l'habituelle liaison entre une consonne
et une voyelle qui lui succède.
Puis la phrase se poursuit (des cèdres, des chênes, des mancenilliers).
Et nous retrouvons le "n" manquant qui réapparaît ça
et là, saute d’une syllabe finale à une intermédiaire
et revient nous hanter en jouant avec sa consonne opposée le "c"
/s/ mais surtout avec notre langue pour nous torturer délicieusement.
Une fois encore, le mot populaire "caché" par Proust est dans
un rapport très étroit avec le sens du propos. Le bien-être,
n'est-ce pas la sensation principale d'Albertine au moment où elle raconte
son histoire ( et nous fait grincer des dents au moment même où
elle prononce ce mot, à nous comme au narrateur écrasé
de jalousie à cet instant ) ?
Il nous reste maintenant à vous inviter à poursuivre et découvrir
ces trésors magnifiquement semés par Marcel Proust le long de
son oeuvre, parce que trouvés par vous-même, ils n'en sont que
meilleurs.
David Orbach
Coste-Orbach architectes
(1) Originellement Proust a trouvé l'idée d'associer la carafe à de l'"eau durcie" chez Emile Mâle dans son livre l'art religieux du XIII ème siècle en France ( p 169 collection Le livre de poche) et qui citait lui-même Anselme de Laon disant "le cristal est de l'eau durcie".
(2) Nous confirmons donc ici qu'il n'y a aucun lien entre le son du mot "Guermantes"
et celui de la lumière "orange" puisque, comme cela a été
déjà remarqué par Jean Milly in La phrase de Proust (p
75), le mot "Guermantes" qui contient la voyelle /a/ peut faire autant
penser à la couleur blanche qu'à l'orange ou même l’amarante.
http://coste-orbach.blogspot.com/2006/08/la-construction-potique-de-la-recherche.html
NOVEMBRE 2010
Stéphane Hessel: «C'est en s'engageant qu'on devient
Homme»
11 Novembre 2010 Par Pierre Puchot Mediapart
«Je suis un sartrien, je considère qu'il a raison quand il dit:
“On devient Homme en s'engageant.”» On a beau connaître
son parcours, ses vies multiples, un entretien avec Stéphane Hessel reste
un moment particulier. À 93 ans, l'ambassadeur de France demeure porté
par une énergie hors du commun qui lui permet, en l'espace d'une semaine,
de prendre la parole à Buchenwald, où il fut déporté,
puis de se rendre à Gaza pour réclamer la libération du
soldat franco-israélien Guilad Shalit face au premier ministre du Hamas.
Stéphane Hessel a pourtant vécu une rentrée pour le moins
agitée. Mais face la menace de plainte pour antisémitisme que
lui a valu son soutien à la campagne de boycott des produits israéliens
(la campagne «BDS»); face aux attaques pour le moins outrancières
de Pierre-André Taguieff, qui qualifiait l'ambassadeur de France de «serpent
dont il faudrait écraser la tête»; à l'heure où
France 5 diffuse un documentaire sur son parcours hors norme que les téléspectateurs
pourront découvrir vendredi 12 novembre, Stéphane Hessel ne baisse
pas la garde. Et lorsque Nicolas Sarkozy rend hommage à de Gaulle en
appelant à «chercher sous la diversité française
l'unité profonde de la nation», l'ancien ambassadeur lui réplique
en se déclarant «ennemi juré de MM. Hortefeux et Besson»,
qui «ont fait de ce ministère de l'immigration, de l'identité
nationale, une machine pour se permettre d'expulser à tour de bras des
gens qui soi-disant ne correspondent pas à ce que devrait être
l'identité française.» Entretien.
Stéphane Hessel, la France commémore cette semaine le 40e anniversaire
de la mort du général de Gaulle, que vous avez rejoint à
Londres en 1941, et que vous avez bien connu. Dans son discours, prononcé
mardi 9 novembre à Colombey-les-Deux-Eglises, Nicolas Sarkozy évoque
un certain nombre de principes qu'il considère comme étant les
valeurs héritées du gaullisme, et notamment le devoir de «chercher
sous la diversité française l'unité profonde de la Nation».
Dans le contexte actuel, cette phrase ne nous interroge-t-elle pas?
C'est tout le problème de l'accueil de l'étranger en France. Il
y a les belles paroles, où l'on retrouve l'universalité des valeurs
françaises. Si l'on entend par là l'universalité que l'on
doit imposer, de certaines valeurs de la France profonde, de la France des vingt
siècles des rois qui ont fait la nation, qui n'a rien à voir avec
ce qu'apportent les Italiens, les Espagnols, les Maghrébins ou les Africains,
alors c'est évidemment une absurdité. Il n'y a pas une France
profonde, qui surgirait à l'encontre des apports nombreux. La France
est le résultat de ces apports nombreux. Sa qualité de terre d'accueil
me paraît tout à fait nécessaire. Je suis donc un ennemi
juré de MM. Hortefeux et Besson, dont j'estime qu'ils ont fait de ce
ministère de l'immigration, de l'identité nationale, une machine
pour se permettre d'expulser à tour de bras, des gens qui; soi-disant,
ne correspondent pas à ce que devrait être l'identité française.
On peut être un pays intelligent, qui profite de l'attrait qu'il exerce
sur d'autres peuples, et qui profite par là de l'apport d'autres cultures.
Il y a deux manières de concevoir l'immigration. L'une est la crainte
sécuritaire: ils viennent, ils sont clandestins, ils vont devenir délinquants,
il faut les mettre à la porte. L'autre: ils viennent, ils ont des problèmes
d'adaptation, il faut en tenir compte, il faut leur donner une place honorable
dans notre société, dont ils peuvent être des facteurs de
progrès.
Sur un plan plus personnel, comment avez-vous réagi à la sortie
agressive de Pierre-André Taguieff à votre endroit?
Je connaissais cet homme, je sais que c'est quelqu'un de très, disons,
juif israélien profondément sioniste, et je n'ai pas été
surpris qu'il prenne position contre moi. Il l'a fait d'une manière totalement
discourtoise, en parlant d'un serpent dont il faudrait écraser la tête.
J'aurais préféré qu'on en reste là. Mais, comme
il ne m'attaquait pas seulement moi mais aussi tous ceux qui, comme moi, défendent
l'idée qu'il faut boycotter les produits des colonies israéliennes
en Cisjordanie, et que ces gens risquent d'avoir des ennuis avec la justice
française, j'ai encouragé la rédaction d'un appel, en mon
nom et celui d'un certain nombre d'autres personnes, dans lequel nous disons:
«Cette attaque est absurde, Stéphane Hessel est un ami d'Israël,
et pas du tout un antisémite, il défend les thèses des
Nations unies, etc.» (Mediapart a publié ce texte que vous pouvez
retrouver ici).
Il y a eu dans Le Monde un papier, avec des signatures comme celle de Bernard-Henri
Lévy, qui a mis en question la notion de boycottage de produits israéliens,
en confondant un peu produits des colonies, et produits d'Israël même,
et en disant que ce n'était pas une bonne façon de poser le problème,
ce que l'on comprend. Ils ont fait allusion à ma position, qui serait
une défense de BDS (Boycott désinvestissement, sanctions). Face
à cela, un certain nombre de mes camarades ambassadeurs ont décidé
de porter une réplique au Monde, qui va peut-être paraître.
Personnellement, tout cela me paraît complètement absurde. Je n'ai
aucun amour-propre. Qu'on m'attaque, pourquoi pas? Mais avec un minimum de courtoisie
tout de même.
Quelle est précisément votre position? Accordez-vous un soutien
total à la campagne BDS?
Non. Enfin... la campagne de BDS est duelle: il y a ceux qui disent qu'il faut
boycotter les produits israéliens en général et ceux qui
poussent à boycotter les produits des colonies, qui sont illégales.
Je me range dans cette seconde catégorie. Mais lorsque des gens qui sont
dans la première catégorie sont traînés devant la
justice pour antisémitisme, je dis: «Attention. Ce n'est pas de
l'antisémitisme de dire qu'il y a un pays qui se conduit mal et dont
il faut boycotter les produits.» Je me porte défenseur vis-à-vis
de la justice française. Je lui dis: «Vous n'avez pas à
juger des gens qui prennent des positions politiques qui ne sont pas du racisme
ou de l'antisémitisme, mais qui sont des positions plus ou moins fermes
sur le droit international.»
Il a été question d'une plainte contre
vous pour antisémitisme. Où en est-on?
Elle n'a jamais vu le jour. Ce n'était pas tant une plainte pour antisémitisme
que pour mon soutien à la campagne BDS. Il y a un procès qui doit
se tenir à Mulhouse sur ce sujet dans quelques jours et j'apporte mon
soutien à ceux qui dans ce procès défendent les partisans
de BDS. Voilà où l'on en est. Y aura-t-il à un moment donné
quelqu'un qui aura le «courage» de m'assigner devant un tribunal
pour antisémitisme militant, ou négation de la Shoah? Évidemment,
c'est absurde, d'autant que des membres de ma famille en sont morts, et que
j'ai moi-même été déporté. M'attaquer là-dessus
ne correspond à rien.
D'où vous vient cet engagement pour la population
palestinienne?
À l'origine, ce sont des Israéliens, parmi les plus dissidents,
qui se sont adressés à la diaspora (mon père était
juif) nous considérant comme des juifs qui doivent, nous disaient-ils,
se rendre compte de ce que devient l'Etat auquel ils ont donné leur appui
quand il a été créé: «Vous devriez venir voir
où les gouvernements israéliens successifs nous ont menés.»
J'ai répondu à cet appel. J'ai été une première
fois là-bas dans les années 1990. J'y suis retourné à
plusieurs reprises et j'ai effectivement constaté à quel point
la cause palestinienne était mal défendue, et la cause israélienne
libre d'agir dans l'impunité complète. Comme je suis plutôt
un homme du droit international, j'ai voulu faire valoir que nous, les membres
des Nations unies, avions des obligations à l'égard du peuple
palestinien, et j'ai commencé à défendre l'idée
que laisser la politique israélienne impunie était contraire au
droit international. C'est une démarche relativement récente car
il y a encore vingt ans, je m'occupais peu du problème palestinien. Mais
depuis la fin des années 1990, j'y suis allé au moins six fois,
et j'ai constaté que l'on comprenait certaines choses quand on était
sur place. C'est seulement sur place que l'on peut comprendre comment les politiques
israéliennes successives ont été néfastes pour les
Palestiniens, contraires au droit international, et à terme, contraires
à l'intérêt bien compris de la population israélienne,
qui ne peut espérer une véritable sécurité s'il
n'y a pas enfin un Etat palestinien avec lequel elle peut avoir des relations
de voisinage.
Un dossier sur lequel la presse française
est particulièrement silencieuse et pour lequel vous avez pris fait et
cause, c'est celui du franco-palestinien Salah Hamouri, reconnu coupable de
tentative de meurtre et condamné à la prison en Israël...
Salah Hamouri a plaidé coupable alors qu'il était innocent. Je
me suis manifesté à plusieurs reprises, j'ai écrit à
Kouchner en lui disant:«Qu'est-ce que vous faites pour la libération
de Hamouri, vous qui avez des amis israéliens, obtenez donc cela.»
La réponse de Kouchner a toujours été de dire: «Qu'est-ce
que vous voulez, il a plaidé coupable...» Donc vraiment là,
je trouve que l'officialité française a été nulle.
(Inculpé en 2005 pour avoir projeté de tuer le rabbin Ovadia Yossef,
Salah Hamouri n’a cessé de proclamer son innocence, avant d’accepter
finalement de plaider coupable après trois ans de détention administrative.
Il a été condamné par le tribunal militaire israélien
à une peine de sept ans de prison, qu'il purge actuellement à
la prison de Guilboa.)
Alors que vis-à-vis de Guilad Shalit, qui est un problème similaire,
mais de l'autre côté, on s'est beaucoup manifestés, sans
obtenir de résultats d'ailleurs. Quand nous étions il y a dix
jours à Gaza, la première chose que nous avons demandé
à Ismail Haniyeh, c'est de pouvoir voir Guilad Shalit, en lui disant:
«Montrez-le-nous, au moins, même si vous ne voulez pas le libérer,
montrez-le-nous pour que nous puissions rapporter un message en France.»
La réponse a été: «Je voudrais bien mais je ne peux
pas: ça ne dépend pas exclusivement de moi.» Haniyeh, que
je considère plutôt comme un modéré, n'a pas la main
sur le Djihad islamique et d'autres factions, qui détiennent Shalit,
et qui n'ont l'intention, ni de le lâcher, ni de le faire voir.
Vous vous étiez déjà rendu à Gaza en juin 2009,
cinq mois après l'opération Plomb durci...
J'avais d'ailleurs pu constater que les éléments présents
dans les rapports Goldstone étaient tout à fait véridiques.
Les destructions considérables, le nombre de morts, au moins 1.400, beaucoup
d'enfants traumatisés... Bref, cela a été une opération
affreuse, on peut parler de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité
comme le fait le rapport.
Vous dites considérer Ismail Haniyeh comme
un «modéré». Vous qui avez fait une grande partie
de votre carrière dans la diplomatie, que pensez-vous du fait que lui-même
et son parti, le Hamas, soient exclus des négociations de paix entamées
le 2 septembre à Washington entre Israéliens et Palestiniens?
C'est une erreur et cela m'a été confirmé par le patron
de l'Unrwa (l'Agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens),
l'Irlandais John Ging, qui m'a dit: «C'est absurde de ne pas même
prendre contact avec Ismail Haniyeh. Tony Blair vient à Gaza, il ne prend
même pas contact avec l'homme qui dirige.» Que ce soit quelqu'un
dont les thèses ne répondent pas aux nôtres, ou à
celles d'Israël, bien sûr. C'est un adversaire, mais avec lequel
il faut parler. Et je constate que c'est un adversaire qui cherche à
retrouver le contact avec les autres Palestiniens. Ce n'est pas un obstiné,
ni un radical.
Le rapport Goldstone fait aussi mention de crimes
de guerre commis par le Hamas. En outre, la presse israélienne et internationale
se sont beaucoup fait l'écho ces derniers mois d'une reprise en main
du Hamas, d'un climat sécuritaire très lourd pour la population
de Gaza. Avez-vous ressenti cela vous-même ?
C'est la question que nous avons posée à Ismail Haniyeh: «Il
y a des organisations ici qui se plaignent que vous mettiez la main sur elles,
que vous les empêchiez de faire ce qu'elles ont envie de faire.»
Sa réponse a été: «Non, je ne cherche pas à
mettre la main dessus, et si des personnes ont cette impression, que l'on n'hésite
pas à me le signaler.» C'est de la langue de bois, bien sûr.
Je ne dis pas du tout que le régime de Gaza soit démocratique.
Mais je dis que c'est un interlocuteur avec lequel il est possible de négocier
et d'obtenir des choses.
Quelques jours avant de partir à Gaza, vous étiez à Buchenwald,
où vous avez été déporté au cours du second
conflit mondial. Pourquoi y retourner, quand ce souvenir doit être particulièrement
éprouvant pour vous ?
D'une part, j'ai une espèce d'attachement au souvenir de ce camp, et
j'y suis retourné plusieurs fois pour des manifestations, cinquantième,
soixantième anniversaire. Cette fois-ci, c'était tout à
fait autre chose, et cela m'a particulièrement ému. J'étais
arrivé à Buchenwald avec un groupe de 36 camarades, dont 30 ont
été soit pendus, soit fusillés. Et l'organisation britannique
SOI qui faisait un travail de résistance en France a décidé
d'apposer au crématorium de Buchenwald une plaque avec les noms de ces
30 camarades qui ont été exécutés, les uns au croc
de boucherie, les autres fusillés. Ils m'ont dit : «Vous êtes
le dernier survivant de tout cela. Voulez-vous venir assister à cette
cérémonie?» J'ai répondu que naturellement je serais
là, que c'était mon devoir, et même de parler, pour les
descendants de ces 30 camarades, dont plusieurs étaient présents
eux aussi, et de leur dire comment cela s'était passé, quels avaient
été les derniers jours que nous avions passé ensemble.
Dans quelle mesure, et de quelle manière,
le souvenir de cette période existe encore en vous, soixante-six années
plus tard, alors que vous donnez la sensation d'avoir vécu tant de vies?
Dès ma sortie de la Seconde Guerre mondiale, y compris Buchenwald et
Dora, j'en ai tiré des conclusions sur le plan moral et psychologique.
Je me suis dit: «Quand on a eu la chance de survivre à cela, et
que l'on peut témoigner des horreurs qu'a été le nazisme,
il faut s'engager.» Et je l'ai fait très vite, au sein des Nations
unies, qui m'apparaissaient comme la meilleure réponse à ce qu'avait
été la Seconde Guerre mondiale. Par conséquent, je garde
une sorte de responsabilité, quand on parle de cette période,
je suis heureux d'être là pour dire: «Voilà pourquoi
c'était horrible, pourquoi il ne faut pas que cela recommence.»
Des choses banales, mais qui font partie de ma personnalité. Je suis
le survivant des camps, de même que l'un des participants à la
rédaction de cette déclaration universelle qui a été
la réponse internationale à ce que nous avions vécu. Voilà
comment je considère mon engagement. Je suis un sartrien, je considère
qu'il a raison quand il dit que l'on devient un homme en s'engageant, on peut
ajouter: «en s'indignant», d'où le titre de la petite brochure
qui paraît ces jours-ci. C'est un peu ce passage dans les camps qui a
renforcé en moi ce désir de manifester.
Dans cette «brochure», Indignez-vous,
vous appelez notamment à une «insurrection pacifique». De
quoi s'agit-il?
Je cite ce que font des Palestiniens dans un village qui se situe tout près
du fameux mur construit par Israël en terre palestinienne, qui en sont
donc les victimes et qui, pour protester, organisent tous les vendredis une
marche qu'ils veulent pacifique, puisqu'ils interdisent aux gosses de lancer
des pierres. En général, ils sont accueillis par des soldats israéliens,
qui n'hésitent pas à envoyer des gaz lacrymogènes, ou même
des balles en caoutchouc. C'est ce que j'appelle l'insurrection pacifique. C'est
cela que les Israéliens ont eu le culot d'appeler«terrorisme non-violent»,
comme si on pouvait être non-violent et terroriste. Toute violence appelant
une violence en retour, celle-ci n'est jamais une bonne manière de résoudre
un problème.
L'un des secrets de votre vivacité intellectuelle est, paraît-il,
votre goût pour la poésie. Vous vous astreignez, dit-on, à
apprendre au moins un poème par jour.
C'est un peu excessif. Mon vrai plaisir, c'est de réciter de la poésie.
Pour m'endormir, je me récite parfois à moi-même quelque
poème. Quand je m'ennuie, je m'en récite un autre, et je suis
heureux. Celui-ci, d'Apollinaire, c'est le dernier que j'ai appris:
J'ai cueilli ce brin de bruyère,
L'automne est morte, souviens-t-en,
Nous ne nous verrons plus sur terre.
Odeur du temps, brin de bruyère,
Et souviens-toi que je t'attends.
(Retrouver l'enregistrement de cet entretien d'une durée de 42 min sous
l'onglet Prolonger de cet article).
Source TERRA : http://www.mediapart.fr/journal/international/091110/stephane-hessel-cest-en-sengageant-quon-devient-homme
Les Nouvelles News
Résistez. "Indignez-vous !"
Écrit par La rédaction - Jeudi, 11 Novembre 2010 09:11
Appel à une « véritable insurrection pacifique ».
Avec Stéphane Hessel qui publie « indignez-vous ! », le Conseil
national de la résistance appelle « ceux et celles qui feront le
siècle qui commence » à s’indigner. Intérêt
général, pauvreté et écarts de richesse, liberté
de la presse, dictature des marchés financiers … Attention à
ne pas cautionner aujourd’hui « ce que nous aurions refusé
de cautionner si nous avions été les véritables héritiers
du Conseil National de la Résistance » de 1944.
C’est un petit livre de 22 pages à 3 euros, publié chez
Indigène-Editions : “Indignez-vous ! ”, sous la plume de
Stéphane Hessel, Ancien résistant, diplomate, impliqué
dans la rédaction de la Déclaration des Droits de l’Homme
des Nations unies en 1948… Et une vidéo, réalisée
par Le Conseil national de la résistance.
« Cherchez et vous trouverez » les motifs d’indignation écrit
Stéphanne Hessel : l’écart qui se creuse entre les très
riches et les très pauvres, le traitement fait aux sans-papiers, aux
immigrés, l’état de la planète, la compétition
économique impitoyable, la dictature internationale des marchés
financiers, et même les retraites et la Sécurité Sociale…
Ces deux documents veulent réveiller les jeunes générations.
Ne pas céder au fatalisme. Pas question de reculer sur le programme élaboré
il y a 70 ans par le Conseil national de la résistance Il faut résister
pour revenir aux fondamentaux : primauté de l’intérêt
général sur l’intérêt particulier, presse indépendante
du Pouvoir et des puissances d’argent.
Extraits :
« C’est tout le socle des conquêtes sociales de la Résistance
qui est aujourd’hui remis en cause. »
Appel à l’insurrection pacifique « contre les moyens de communication
de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation
de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie
généralisée et la compétition à outrance
de tous contre tous. »
On ose nous dire que l’État ne peut plus assurer les coûts
de ces mesures citoyennes. Mais comment peut-il manquer aujourd’hui de
l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes alors que la
production de richesses a considérablement augmenté depuis la
Libération, période où l’Europe était ruinée
? Sinon parce que le pouvoir de l’argent, tellement combattu par la Résistance,
n’a jamais été aussi grand, insolent, égoïste,
avec ses propres serviteurs jusque dans les plus hautes sphères de l’État.
(…)
C’est vrai, les raisons de s’indigner peuvent paraître aujourd’hui
moins nette ou le monde trop complexe. Qui commande, qui décide ? Il
n’est pas toujours facile de distinguer entre tous les courants qui nous
gouvernent. Nous n’avons plus affaire à une petite élite
dont nous comprenons clairement les agissements. C’est un vaste monde.
Nous sentons bien qu’il est interdépendant. Nous vivons dans une
interconnectivité comme jamais il n’en a existé. Mais dans
ce monde, il y a des choses insupportables.
Dans la video : Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri
Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane
Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise London, Georges Séguy, Germaine
Tillion, Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey
Pour en savoir plus sur Stéphane Hessel, Un billet de Nicolas Bordas
L'appel : http://www.dailymotion.com/video/xb40jb_creer-c-est-resister-resister-c-es_news
Vidéo : http://www.dailymotion.com/video/xfbfb7_indignez-vous_news#from=embed
Source TERRA : http://www.lesnouvellesnews.fr/index.php/civilisation-articles-section/civilisation/763-resistez-indignez-vous-
Blog de Nicolas Bordas
Et si résister, c'était créer ?
Comme tous les dimanches, c’est #JourDuPenseur, avec aujourd’hui,
l’un des hommes vivants que je respecte le plus. J’ai eu la chance
de rencontrer à plusieurs reprises Stephane Hessel dans le cadre du Collegium
(un think tank d’anciens présidents, premier ministres et intellectuels
du monde entier), que j’essaie d’aider ponctuellement à titre
personnel (voir mon post du 22 décembre 2009 ” Et si on accélérait
la mise en place d’une gouvernance mondiale” ou écouter l’interview
de Stephane Hessel ci-dessus). Ancien résistant et évadé
des camps de la mort, Stephane Hessel, à 93 ans, a gardé une jeunesse
d’esprit et une intelligence irréelle et radieuse. Peu d’hommes
du 20ème siècle ont eu une vie aussi pleinement remplie que la
sienne. Son tout dernier livre après sa biographie “Danse avec
le siècle” publiée il y a trois ans, est un petit opuscule
“Indignez-vous ! ” de la collection “Ceux qui marchent contre
le vent” chez Indigène Editions, qui a été épuisé
dans toutes les Fnac la semaine de sa sortie. Il m’a fallu l’emprunter
à un des meilleurs amis de Stephane Hessel, Sacha Goldman (secrétaire
général du Collegium International) que je remercie ici, pour
le lire et vous le commenter.
Né à Berlin en 1917 d’un père juif écrivain
et d’une mère peintre et mélomane, Stéphane Hessel
fréquente à Paris l’avant garde culturelle parisienne, en
particulier Marcel Duchamp et Alexandre Calder. Truffaut s’inspirera de
l’histoire des parents de Stéphane pour son film culte Jules et
Jim. Naturalisé Français en 1937, il entre à Normale Sup
en 1939, et rejoint en mai 1941 le Général De Gaulle à
Londres. Il revient à Paris en 1944 pour une mission de résistance
, et se fait arrêter sur dénonciation par la Gestapo le 10 juillet
1944. Après des interrogatoires sous la torture, il est envoyé
au camp de Buchenwald le 8 aout 1944. A la veille d’être pendu,
il parvient à échanger son identité avec un Français
décédé du typhus, et il est transféré sous
un nouveau nom dans un autre camp, d’où il s’évade
une première fois, avant d’être repris, réinterné
dans une compagnie disciplinaire, d’où il réussit à
s’évader de nouveau en sautant d’un train, profitant de sa
maitrise parfaite de la langue allemande. En 1946, il devient diplomate et il
rejoint la Commission chargée d’élaborer ce qui deviendra
la déclaration Universelle des Droits de l’homme. Il deviendra
ensuite ambassadeur auprès des Nations Unies, puis fondera en 2002 avec
Michel Rocard, le Collegium International qui réunit des anciens chefs
d’état ou de gouvernement du monde entier et des membres éminents
de la société civile comme Edgar Morin, René Passet, Jurgen
Habermas ou Henri Atlan, pour n’en citer que quelques uns.
“Indignez-vous” est un petit livre de 22 pages qui commence ainsi
: ” 93 ans. C’est un peu la toute dernière étape.
La fin n’est plus bien loin. Quelle chance de pouvoir en profiter pour
rappeler ce qui a servi de socle à mon engagement politique : les années
de résistance…” et se termine ainsi : ” CREER, C’EST
RESISTER.RESISTER, C’EST CREER”. Pour Stephane Hessel, “il
nous appartient de veiller ensemble à ce que notre société
reste une société dont nous soyons fiers” en ne cautionnant
pas aujourd’hui ” ce que nous aurions refusé de cautionner
si nous avions été les véritables héritiers du Conseil
National de la Résistance” de 1944, qui prônait la primauté
de l’intérêt général sur l’intérêt
particulier, une presse véritablement indépendante du Pouvoir
et des puissances d’argent. Pour Hessel, “le motif de la résistance,
c’est l’indignation”, et c’est pourquoi il propose “aux
jeunes générations de faire vivre, transmettre, l’héritage
de la Résistance et de ses idéaux ” en leur disant “Prenez
le relais, indignez-vous !” pour devenir ” militant, fort et engagé”.
Pour Stéphane Hessel, “l’indifférence est la pire
des attitudes”, même si les raisons de s’indigner aujourd’hui
peuvent paraitre moins nettes ou le monde trop complexe, en comparaison des
combats qui furent les siens contre le nazisme, pour l’Algérie
indépendante, ou contre le totalitarisme Stalinien. Pour Hessel aujourd’hui,
deux grands combats méritent d’être menés : la réduction
de l’écart de richesse entre les très pauvres et les très
riches qui ne cesse d’augmenter, et les droits de l’homme et l’état
de la planète. Stéphane Hessel prône l’action en réseau
en profitant de “tous les moyens modernes de communication”. Mais
l’indignation ultime d’Hessel restera la situation de la Palestine,
de la bande de Gaza et de la Cisjordanie qu’il connait si bien, pour y
avoir encore été l’an dernier. Il renvoie dos à dos
Israël et le Hamas à leurs responsabilités, convaincu que
la non-violence et la conciliation des cultures différentes est “le
chemin que nous devons apprendre à suivre”. Il nous faut comprendre
que la violence “tourne le dos à l’espoir”, et c’est
pourquoi il appelle à “une insurrection pacifique” pour éviter
que les risques qui nous menacent mettent “un terme à l’aventure
humaine sur une planète qu’elle peut rendre inhabitable pour l’homme”.
Source TERRA : http://www.nicolasbordas.fr/et-si-creer-cetait-resister