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ANNEE 2010

Jeudi 29 avril 2010


Plaisirs


Santiago ALBA RICO


Il y a des expériences tellement intenses qu’elles sont dépourvues d’étendue. Il y a des émotions tellement collées à notre poitrine qu’il est impossible de les situer ailleurs. On peut dire que c’est cela que tous nous appelons, en Australie, en Espagne, en Chine, « plaisir » et « douleur » ; c’est-à-dire le fait de n’être ni en Australie, ni en Espagne, ni en Chine lorsque nous frémissons. Mon crâne ne me fait pas mal quelque part dans le monde, mais dans mon propre crâne ; je ne ressens pas cette rage de dents quelque part dans l’extension de mon corps, mais dans une sorte d’intimité sans fenêtres ; mes reins ne me font pas souffrir un certain mardi, énième jour de mars, mais en ce pur présent, en cette éternité concrète. Il en est de même avec le plaisir dont les plus courtes intensités suppriment également, tant qu’il dure, tous les liens avec le monde et avec le temps. Dans leur relation avec le monde, il y a peu de différence entre la souffrance et la jouissance : le plaisir est une douleur blanche, la douleur est un plaisir noir. La colique néphrétique et l’orgasme nient autant l’un que l’autre le soleil, les arbres, la bouteille posée sur la table, notre généalogie et notre histoire, la main qui nous porte secours et même le corps que nous étreignons dans nos bras. Ceci dit, la souffrance est un plaisir qui nous expulse, dans lequel nous ne voulons pas rester, qui pour cette raison même exige, en même temps, une explication et une issue et qui cherche à se frayer un passage, comme les griffes d’une taupe, pour retourner dans ce monde d’où elle a été arrachée. Si les révolutions se font à partir de la souffrance - l’aiguillon de la realité cloué dans le corps, comme disait Simone Weil - c’est precisément parce que la souffrance nous fait fuir et parce que nous ne pouvons la fuir qu’en nous dirigeant vers les autres et vers l’extérieur. C’est pour bloquer ce retour à l’humanité - de la migraine à la réflexion, de la colique néfrétique à la révolte - qu’ont été inventés les antidépresseurs, la religion… et les plaisirs. L’industrie capitaliste du divertissement dissout le monde commun bien plus efficacement que les somnifères et les confessionnals.

Le plaisir est une douleur qui nous retient, une douleur dans laquelle nous voulons nous installer. Sans une bourrade, nous y resterions vautrés pour toujours. Les plaisirs les plus élémentaires sont - bien entendu - le sexe et la table, et c’est contre leur insociabilité viscérale qu’ont été inventés quantité de procédés culturels raffinés. L’amour et ses mains attentionnées, ne sont-ils pas des dispositifs pensés pour mettre l’autre à portée du regard, tellement loin que nous puissions, pour la première fois, le toucher au lieu de le manger ? Et les manières de table, la gastronomie, les repas pris en compagnie, ne sont-ils pas des inventions conçues pour nous retenir hors de nos tripes, pour que la bouche qui mâche soit aussi obligée de parler et de reconnaître, de ce fait, l’existence des autres commençaux ? Le contraire de l’amour c’est la guerre, avec ses corps crus exposés à l’immédiateté aveugle des violeurs ; le contraire du banquet platonique c’est la faim de loup et ses digestions rapides, solitaires, ombrageuses. Le défaut de la prostitution et du fast-food, qui ont tant de points de ressemblance, c’est qu’ils nient ou annulent le monde commun ; ils n’ont lieu nulle part, ils n’arrivent à personne, ils n’établissent aucune relation. Est-ce un hasard si le capitalisme dépense beaucoup plus, chaque année, à détruire des relations - pour ne pas parler des êtres humains réels - qu’à en créer ? Est-ce un hasard si la prostitution génère un chiffre d’affaire de 18 milliards d’euros rien qu’en Espagne et si elle mange sans cesse 400.000 personnes, si la société McDonald a 60 millions de clients quotidiens de par le monde et si elle vend, par an, pour 22 milliards de dollars de mal-bouffe ?

J’ai déjà dit que que la plus ou moins grande qualité d’une société donnée est moins révélée par les souffrances qu’elle impose à ses victimes que par les plaisirs qu’elle procure à ses bénéficiaires. L’essence du capitalisme se manifeste, bien sûr, dans ses usines, ses camps de réfugiés, ses murs en guise de frontières, ses prisons ; mais elle se manifeste aussi - ou peut-être plus encore - dans ses centres commerciaux, ses parcs à thèmes, ses aéroports, ses programmes de télévision, ses stades. On fuit le chômage et l’emploi précaire, comme toujours, en se réfugiant dans la religion et les tranquillisants, mais aussi en se tournant vers les plaisirs industriels que le capitalisme, sur le modèle de la prostitution et du fast food, à une échelle différente et par des voies diverses, fournit aux pauvres comme aux riches.

Y a-t-il un autre modèle ? En 1956, peu de temps avant de mourir, Bertolt Brecht a écrit un très beau poème avec, pour titre, Vergnügungen, que certains traduisent par « plaisirs » et d’autres par « satisfactions ». Je préfère ce dernier mot dérivé du latin « satis » (assez, suffisamment) parce que d’entrée il situe le regard dans les limites du monde, hors du corps et ses intimités infinies. Dans Satisfactions le poète allemand offre une liste presque orientale de plaisirs qui nous ouvrent vers l’extérieur (regarder par la fenêtre, nager, des visages rayonnants d’enthousiasme, le vieux livre retrouvé, la neige, des souliers parfaitement faits à nos pieds, la dialectique) totalement incompréhensibles - langue morte, étrange, parfaitement ennuyeuse - pour un client de McDonalds et de Wal-Mart, un spectateur de la FOX ou un admirateur de Fernando Alonso et de Cristiano Ronaldo. De toutes ces minuscules « satisfactions » que procure l’extension, il y en a deux désormais presque éteintes, comme les dinosaures et les bisons, incompatibles avec l’ordre du marché capitaliste et qui, vues depuis le dernier modèle d’automobile ou depuis Disneyland, nous semblent extravagantes et perverses, presque scandaleuses : « comprendre » et « être aimable ».

Pourquoi pensons-nous qu’il est aujourd’hui impossible de trouver du plaisir à « comprendre » et à « être aimable » ? Parce que contrairement à la prostitution et au fast-food, à l’inverse de la colique néphrétique et de l’orgasme, la pensée et l’amabilité sont deux formes distinctes de reconnaître l’existence du monde. Les deux se comportent face aux choses et face aux hommes comme le naufragé face aux enfants, ces enfants qu’il faut laisser passer en premier au moment d’abandonner le navire qui coule. « Comprendre » est un exercice de bonne éducation envers l’objet : c’est lui donner la parole, c’est le laisser passer avant nous, c’est lui laisser notre place assise. Le zoologiste, pour ainsi dire, laisse parler les animaux, le physicien laisse parler l’atome, le philosophe laisse parler les concepts. Mais être aimable c’est, en même temps, une façon de (re)connaître notre prochain, de comprendre son existence comme égale à la nôtre, d’établir des rangs et des hiérachies à contre-courant des classes sociales (la supériorité du petit vieux, du malade, de l’enfant…) chaque fois que je dis « S’il vous plaît », que je cède le passage, que je me montre souriant, aimable ou complaisant, que je m’arrête et que je consacre une minute, arrachée au temps continu de la digestion, pour m’intéresser à mon voisin, je suis en train de connaître la fragilité des autres et je déclare à haute voix ma propre fragilité. Sous le règne du capitalisme, à Madrid, à Sydney et, aussi - je le crains fort- à Pékin, une déclaration de fragilité c’est déjà une invitation au mépris et à l’agressivité. Dans les grandes villes européennes, ne sont désormais « aimables » que ceux qui ont quelque chose à cacher ou à craindre : les immigrants, dont la courtoisie même les met à la merci de tous les coups et de tous les abus. Le poème de Brecht se termine sur ce vers très court : « être aimable ». C’est aussi la condition implicite de toute société juste, le premier article tacite de toute construction politique. Le communisme c’est l’ensemble des processus complexes - économiques, sociaux, technologiques… - qui permettent ces plaisirs simples. Celui d’ouvrir la fenêtre lorsqu’on se lève et de reconnaître le monde extérieur ; et celui d’ouvrir les yeux et de reconnaître, d’un geste, la supériorité d’un enfant, d’un vieux, d’un malade. Et les plaisirs - bien sûr aussi celui de nager, de lire, d’écouter de la musique, de contempler les fleurs ou la neige, de porter des souliers parfaitement faits à nos pieds et de goûter le ravissement que procure le visage enthousiaste de l’ami ou de l’être aimé.

Santiago Alba Rico La Calle del Medio http://www.rebelion.org/noticia.php?id=104238

Traduction par Manuel Colinas


JUILLET 2010

Photo : une pile de livres (RLHyde/Flickr).

La microédition, laboratoire fragile de la création littéraire

Je vous propose de suivre mon aventure dans l'univers impitoyable du livre et de l'édition. Je vous donnerai aussi mon opinion au regard de l'actualité, des parutions, et des évènements culturels du monde littéraire.


Alexandre K. Ounadjela

La France est probablement le pays du monde où le système d'aide à la création littéraire est le plus complet et le mieux rodé : prix, foires, salons du livre, bourses de création, résidences d'écrivains. A cela on ajoute un réseau assez dense de libraires et points de vente.

Ce système français du livre, permet à de nombreux écrivains de vivre et d'accéder à la notoriété. Cette espérance de vie prolongée des auteurs se fait aussi grâce aux microéditeurs.

Qu'appelle-t-on un microéditeur ?
Le vocabulaire courant tendrait à définir la petite édition par rapport à la grande. Cependant il n'est pas rare qu'un petit éditeur en cache un gros, dont il n'est en fait qu'une extension, par le biais d'une collection par exemple.

Le vrai petit éditeur c'est le microéditeur, qui est totalement indépendant. Il est en général diffusé par lui-même, on appelle ça « l'autodiffusion ». Quand il commence à être reconnu il peut être diffusé par un distributeur spécialisé dans les maisons dites « de taille restreinte ».

Une maison de taille restreinte ne fonctionne pas comme les autres maisons de taille plus importante. En général elle fonctionne avec une ou deux personnes en plus de « l'éditeur », souvent sur la base du bénévolat. Vivre de cette activité n'est pas simple, souvent c'est un violon d'Ingres, parfois coûteux, souvent dévoreur de temps.

La microédition, refuge d'un Michel Houellebecq débutant

Les gros éditeurs -je dis bien les gros pas les grands, car on peut être petit et grand dans l'édition, rarement petit et gros, c'est bizarre mais c'est comme ça- les gros éditeurs donc, disent que publier des écrivains médiocres mais vendeurs permet d'éditer des écrivains plus talentueux, mais plus difficiles à lire.

C'est parfois vrai, mais dans la plupart des cas, ces écrivains au talent non-reconnu ne trouvent refuge que chez un microéditeur. Lorsqu'un débutant au talent complexe, sous entendez qui ne vendra pas assez, a été refusé par les grosses maisons, il se tourne vers les microéditeurs. S'il parvient au succès, sous entendez s'il atteint le seuil de rentabilité exigé par une grosse maison, il arrive qu'il quitte son microéditeur pour la grosse structure qui lui permettra plus facilement d'accéder à la notoriété et aux différents prix qui font vendre plus.

Il est des exemples édifiants, comme celui de Michel Houellebecq.

Publié d'abord par un éditeur courageux (Maurice Nadeau) mais disposant de peu de moyens, il a bénéficié de l'extraordinaire richesse de la petite édition qui, seule, s'est engagée à le soutenir et à le porter vers le public alors que les grandes maisons lui ont toutes fermé la porte au nez.

De même, Philippe Claudel a publié des livres chez une tout petit éditeur avant de connaître le succès chez Stock avec « Les Ames grises ». POL, à l'époque où il était petit et indépendant, a eu le courage de soutenir l'œuvre difficile, mais essentielle, de Valère Novarina.

Sans les petits éditeurs, la poésie ne survivrait pas en France
Cette diversité des maisons d'édition, tant par la taille que par leur spécialisation, est un élément déterminant du système littéraire français. Sans les microéditeurs, beaucoup d'auteurs ne parviendraient pas à trouver leur place. Non que dans les petites structures on publie des ouvrages plus intéressants que chez Gallimard ou chez Flammarion. A ma connaissance le choix n'y est proportionnellement ni pire ni meilleur. Mais elles exercent plusieurs fonctions essentielles :

•permettre à des inconnus d'accéder à la publication,
•assurer la survie de genre peu commerciaux,
•rééditer certains écrivains oubliés ou étrangers.
Sans la microédition, la poésie, en France, ne survivrait pas. Les microéditeurs de poésie sont innombrables et dévoués. Souvent ils publient aussi des beaux livres, où l'artiste s'associe avec un écrivain, un poète. Sans eux on ne pourrait lire ceux qui animent avec intensité une vie de poésie quotidienne. Ce ne sont pas Le Seuil ou Flammarion qui gaspilleraient un centime en publiant de jeunes poètes.

La vocation de ces grosses maisons c'est le chiffre d'affaire.

Erotisme et canulars… Les genres mineurs chez les petits éditeurs

Ce phénomène n'est pas nouveau, mais il a tendance à s'accentuer avec le phénomène de concentration qui touche le secteur de l'édition. Il y a cinquante ans, les grands éditeurs misaient plus sur le fonds, moins sur le côté marchand et les ventes rapides. Dans les années 60 et 70, celles du boom économique et culturel, les éditeurs importants prenaient plus facilement le risque de textes difficiles et d'auteurs peu connus, de peur de rater le train de la fin de siècle et l'an 2000.

Ce ne sont pas seulement les auteurs inconnus ou marginaux, ou les futurs grands écrivains, qui trouvent refuge dans les petites maisons, ce sont aussi les genres mineurs, négligés ou provisoirement méprisés, comme autrefois le roman :

•érotisme,
•satire,
•canulars,
•insolite,
•faux dictionnaires,
•catalogues d'expositions loufoques…
Ces récits incongrus, issus d'univers imaginaires ne sont pas tous réussis, mais la microédition demeure le principal lieu d'expérimentation et d'invention, sans lesquelles une littérature ne vit pas.

Beaucoup d'auteurs étrangers doivent également passer par de toutes petites maisons pour trouver un public.

Enfin, c'est bien souvent chez un microéditeur que l'amateur trouvera :

•des rééditions d'auteurs oubliés,
•des textes rares de grands auteurs,
•des ouvrages qui ont eu leur importance dans l'histoire de la littérature ou des idées.
Les libraires croulant sous l'accumulation de romans, comment trouver un espace pour un recueil de poésie tiré à trois cents exemplaires, mal distribué, et dont on vendra un ou deux en six mois ? Non seulement les journalistes accordent presque toute la place, à chaque rentrée littéraire, à deux ou trois livres publiés par Gallimard, Grasset ou Albin Michel, mais les prix les plus connus vont systématiquement aux grandes maisons.

Enfin, comme s'il fallait définitivement en finir avec la diversité et avec l'édition indépendante, leurs tirages massifs envahissent les rayonnages, et s'entassent en piles dans les Fnac.

Des problèmes de visibilité et d'argent pour les petits éditeurs
On publie environ sept cents romans français en septembre. Cette abondance ne signifie pas que le lecteur a vraiment le choix car les mémoires de Loana ou le dernier roman de PPDA ne sont pas plus excitants qu'un récit issu de la microédition.

Mais, en l'absence de véritable information, le lecteur moyen ne choisit pas : il prend ce qu'il voit et ce dont tout le monde parle. Certains ont les moyens de lui faire croire qu'il choisit, ça s'appelle le marketing.

On s'étonne donc parfois des mauvais commentaires des grosses maisons, je dis bien grosses mais pas grandes, qui s'en prennent aux plus petites pour leur reprocher de n'avoir qu'un succès de snobisme, ou d'encombrer les tables des libraires. Il ne suffit pas aux gros éditeurs d'être riches, il faut aussi que les autres n'aient pas le droit d'exister.

Un microéditeur, à moins de bénéficier d'une fortune personnelle ou de gagner au Loto, finit souvent par être dévoré par un plus gros. S'il veut survivre et demeurer indépendant, il doit souvent avoir recours aux aides à la publication apportées par le Centre national du livre (CNL).

Mais celui-ci ne peut pas soutenir tout le monde, et qui plus est lorsqu'à sa tête on trouve, comme ce fut le cas de 2005 à 2008, un directeur de collection des éditions du Seuil, cela peut faire douter de l'équité de certains choix.

AOUT 2010


LA CONSTRUCTION POÉTIQUE DE LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU DE MARCEL PROUST
de DAVID ORBACH


Article paru dans le journal Agoravox.fr

Pour ceux qui souhaitent comprendre les mécanismes de construction de la beauté poétique, beauté qui ne peut être le fruit du hasard, nous nous proposons d’en exposer un ici, en choisissant l’oeuvre d’un monstre : Marcel Proust.

D'où vient la beauté de la Recherche? Comment son auteur a-t-il construit techniquement son écriture afin de rendre à la fois physique la joie exprimée par le sens poétique de certains passage de son texte et d’en préserver en même temps le mystère ?

Un passage décrivant le style de Bergotte au sein même de l’oeuvre, nous le dit :


A un point de vue plus accessoire, la façon spéciale, un peu trop minutieuse et intense, qu'il avait de prononcer certains mots, certains adjectifs qui revenaient souvent dans sa conversation et qu'il ne disait pas sans une certaine emphase, faisant ressortir toutes leurs syllabes et chanter la dernière (comme pour le mot "visage" qu'il substituait toujours au mot "figure" et à qui il ajoutait un grand nombre de v, d' s, de g, qui semblaient tous exploser de sa main ouverte à ces moments), correspondait exactement à la belle place où dans sa prose il mettait ces mots aimés en lumière, précédés d'une sorte de marge et composés de telle façon dans le nombre total de la phrase, qu'on était obligé, sous peine de faire une faute de mesure, d'y faire compter toute leur "quantité". (c'est nous qui soulignons)

Ce passage nous dit que Bergotte travaille donc les syllabes et les consonnes pour obtenir ses effets. Proust fait-il de même ? Appliquons directement son propos sur ses propres textes, les plus forts, ceux où la sensation est la plus extraordinaire et attachons nous à écouter les sons comme s'il s'agissait d'un poème.


Les carafes dans la Vivonne


Je m'amusais à regarder les carafes que les gamins mettaient dans la Vivonne pour prendre les petits poissons, et qui, remplies par la rivière, ou elles sont à leur tour encloses, à la fois "contenant" aux flancs transparents comme une eau durcie, et "contenu" plongé dans un plus grand contenant de cristal liquide et courant, évoquaient l'image de la fraîcheur d'une façon plus délicieuse et plus irritante qu'elles n'eussent fait sur une table servie, en ne la montrant qu'en fuite dans cette allitération perpétuelle entre l'eau sans consistance où les mains ne pouvaient la capter et le verre sans fluidité où le palais ne pourrait en jouir.

Isolons un extrait de ce morceau de bravoure de Marcel Proust :


à la fois "contenant" aux flancs transparents comme une eau durcie, et "contenu" plongé dans un plus grand contenant de cristal liquide et courant,


Observons la première partie de cette phrase.


/à la fois "contenant" /aux flancs/ transparents/ comme une eau durcie/


Chaque mot, sauf le dernier, se termine par une syllabe commune en "-an" /ã/ et donc rime comme s'il s'agissait d'un poème.


Mais il manque quelque chose car la dernière syllabe "eau durcie (1) " ne rime pas. Elle crée une surprise sonore en finissant en /i/ (durcie). Nous attendons donc un mot rimant avec le reste et c'est son absence qui engendre la sensation "délicieuse et irritante" du mot que l'on a sur le bout de la langue.


Proust a donc bien, comme Bergotte, fait "ressortir toutes leurs syllabes et chanter la dernière"


Mais ce mot manquant devant se finir en "-an" et remplacé par "durcie" dans "eau durcie", quel est-il ?


Il doit être très fréquent pour que nous puissions tous songer au même. Après "eau" c'est bien évidemment "courante", expression très populaire de notre langue, qui surgit. C’est un lieu commun verbal. Le délice de la sensation vient de ce qu'à la fois nous pensons à "eau courante" parce que la suite de syllabes rimant en "-an" nous y force, et qu'en même temps, Proust nous oblige à lire "eau durcie".


Le travail de Proust est donc de réaliser un "à peu-près" de langage afin de nous donner physiquement la sensation "délicieuse et irritante" du mot que l'on a sur le bout de la langue. Cette approximation de la rime n'est pas un défaut d'écrivain essayant de faire des vers sans y arriver : C'est le fondement même de son esthétique. Car c'est elle qui, par l'offrande non comblée de ce mot en suspens, fait naître le désir.


Et c'est ici que le sens rejoint le son de l'écriture, car l'adjectif "courante" s'applique très bien à la rivière. L'écrivain a donc magnifiquement mélangé les carafes à la rivière, par le son, comme le texte nous le raconte par le sens en s'appuyant sur l'expression métonymique classique, disons même générique " boire un verre".


La portion de phrase suivante :


"contenu" plongé dans un plus grand contenant de cristal liquide et courant,


De la même manière et même si c'est moins net que dans l'exemple précédent, nous pensons que "cristal liquide et courant" remplace le mot absent "cristallisé" qui rimerait alors avec "plongé".


"contenu" plongé/ dans un plus grand contenant de cristal liquide et courant,


Le terme "cristallisé" convient parfaitement aux carafes dont les parois transparentes ressemblent à de l'eau cristallisée. Observez maintenant la très stricte correspondance des quatre termes que nous venons de découvrir :


eau courante <> cristal liquide et courant


cristallisé <> eau durcie


---------------------------------------------------------


- Horizontalement, les termes s'associent par leur sens et par leur rime: l'eau durcie est comme cristallisée, l'eau courante est comme un cristal liquide et courant. La rime entre "durcie" et "cristallisé" est évidemment approximative - Proust n'a pas fait un poème ( c'est un à-peu-près) mais elle est réelle "cie" et "sé" sont tous deux très brefs et phonétiquement proches .
- Verticalement, les termes s'opposent par leur sens et leur rime : l'eau courante n'est pas cristallisée, l'eau durcie n'est pas liquide et courante.
- En diagonal, les termes se lient par leur remplaçants : "eau durcie" (écrit dans le texte) remplace "eau courante" (suggéré par la rime), "cristal liquide et courant" (écrit dans le texte) remplace "cristallisé" (suggéré par la rime).

Si Marcel Proust a bien construit son texte comme nous venons de le décrire nous devrions retrouver dans d'autres endroits les mêmes effets. C'est ce que nous allons démontrer maintenant en étudiant le texte le plus brillant de la Recherche :


La couleur orangée du nom de Guermantes.

Jamais dans la promenade du côté de Guermantes nous ne pûmes remonter jusqu’aux sources de la Vivonne, auxquelles j’avais souvent pensé et qui avaient pour moi une existence si abstraite, si idéale, que j’avais été aussi surpris quand on m’avait dit qu’elles se trouvaient dans le département, à une certaine distance kilométrique de Combray, que le jour où j’avais appris qu’il y avait un autre point précis de la terre où s’ouvrait, dans l’antiquité, l’entrée des Enfers. Jamais non plus nous ne pûmes pousser jusqu’au terme que j’eusse tant souhaité d’atteindre, jusqu’à Guermantes. Je savais que là résidaient des châtelains, le duc et la duchesse de Guermantes, je savais qu’ils étaient des personnages réels et actuellement existants, mais chaque fois que je pensais à eux, je me les représentais tantôt en tapisserie, comme était la comtesse de Guermantes, dans le «Couronnement d’Esther» de notre église, tantôt de nuances changeantes comme était Gilbert le Mauvais dans le vitrail où il passait du vert chou au bleu prune selon que j’étais encore à prendre de l’eau bénite ou que j’arrivais à nos chaises, tantôt tout à fait impalpables comme l’image de Geneviève de Brabant, ancêtre de la famille de Guermantes, que la lanterne magique promenait sur les rideaux de ma chambre ou faisait monter au plafond,—enfin toujours enveloppés du mystère des temps mérovingiens et baignant comme dans un coucher de soleil dans la lumière orangée qui émane de cette syllabe: «antes».


La question est la même que dans le paragraphe des carafes dans la Vivonne: Comment faire ressentir physiquement au lecteur la " lumière orangée qui émane de cette syllabe: «antes»" du mot Guermantes ?


Reprenons notre façon de procéder : Intéressons nous aux syllabes finales de ce texte comme s'il était un poème et observons leur rime "approximative" c'est à dire non pas par leur répétition en tant que telle, mais par leur caractéristique tel que leur longueur de son, leur consonne gutturale, plutôt chuintante, etc. bref par leur caractère.
Y a-t-il ici aussi un "mot remplacé" par un autre et qui va nous plonger dans la même sensation "délicieuse et irritante" du mot que l'on a sur le bout de la langue ?
Commençons donc par la fin : L'expression "syllabe: «antes»" ne fait penser à rien par quoi l'on pourrait la remplacer. Mais si l'on regarde la phrase qui l’introduit plus haut nous trouvons :


-enfin toujours enveloppés du mystère/ des temps mérovingiens/ et baignant comme dans un coucher de soleil/ dans la lumière orangée qui émane de cette syllabe: «antes».


Associons les mots rimant ensemble :


mystère <> lumière
mérovingien <> orangée
soleil < ? > syllabe: «antes»


Nous sommes ici au coeur du réacteur de la poétique proustienne : Notre court tableau montre bien que "soleil" devrait rimer avec "syllabe: «antes».", comme le fait "mystère" avec "lumière", et "mérovingien" avec "orangée". Comme vu plus haut entre les mots "eau durcie" et "eau courante" du texte des carafes dans la Vivonne, l'expression "syllabe: «antes»" doit donc remplacer un autre mot finissant en /-eil/ comme "soleil" et commençant par "syllabe". Il serait parfait qu'il évoque aussi fortement la couleur orange. Enoncer en ces termes la question est la résoudre : Le mot recherché est "abeille" (syll-abeille ). Le mot "soleil" appelle à une rime finale en "eille". Le mot "syllabe" démarre le mot "abeille" (syll-ab-eille). À lui seul évidemment, "syllabe" ne donne pas envie de se terminer en "abeille", mais c'est parce qu'il suit de près le mot "soleil", et parce que depuis le début du paragraphe, l'alternance de rimes entre les mots produit "un flot caché d'harmonie, un prélude interieur,"... "faisant ressortir toutes leurs syllabes et chanter la dernière" que nous cherchons sans le vouloir, ou plutôt, que nous voulons sans le savoir, faire rimer les mots entre eux comme le texte nous y invite, plus précisémment, nous y oblige.
Remarquez l'éclatante couleur orange de l'abeille! Observez aussi son caractère éminemment héraldique puisque son emblème est indiscutablement lié à la royauté française. C'est bien elle en effet qui colore en orangé le nom de "Guermantes" et non la syllabe du mot lui-même (2). Nous sommes donc bien encore une fois devant la même technique de remplacement d'un mot manquant par un autre qui va produire, par un procédé ORAL, l’incroyable surgissement VISUEL de la couleur orange.


D'autres textes


Pour ceux qui douteraient encore, voici d'autres exemples de "rime cachée avec un expression consacrée populaire et non-dite" :


Parmi les chambres dont j’évoquais le plus souvent l’image dans mes nuits d’insomnie, aucune ne ressemblait moins aux chambres de Combray, saupoudrées d’une atmosphère grenue, pollinisée, comestible et dévote, que celle du Grand-Hôtel de la Plage, à Balbec, dont les murs passés au ripolin contenaient comme les parois polies d’une piscine où l’eau bleuit, un air pur, azuré et salin.


"un air pur, azuré et salin." À l'oreille, le mot inhabituel "salin" dénote un peu par rapport aux deux autres adjectifs " pur" et "azuré". Il ne semble pas à sa place mais nous n'en sommes plus étonnés : C'est le dernier de la phrase! Il doit cacher autre chose.
"pur" et "azuré" se terminent tous deux par une syllabe incluant la consonne /r/. Consonne /r/ que nous ne retrouvons pas dans "salin". Celui-ci remplace donc un autre mot qui assurerait la rime de l'ensemble. Ce mot en filigrane, quel est-il ? En cherchant nous trouvons aisémment le mot qui ressemble à "salin" mais qui contient lui un /r/, c'est "marin". Nous retrouvons une expression familière sous-entendue dans la mémoire du lecteur : "un air marin". ( remplacé ici par "un air salin"). L'air marin, n'est-ce pas précisément ce que doit ressentir le narrateur à Balbec, dans une des chambres du Grand-Hôtel de la Plage ?

Et voici, pour le plaisir, un dernier exemple pris directement dans la célébrissime description des nourritures entendues et décrites par Albertine" :


La glace a beau ne pas être grande, qu’une demi-glace si vous voulez, ces glaces au citron-là sont tout de même des montagnes réduites à une échelle toute petite, mais l’imagination rétablit les proportions, comme pour ces petits arbres japonais nains qu’on sent très bien être tout de même des cèdres, des chênes, des mancenilliers ; si bien qu’en en plaçant quelques-uns le long d’une petite rigole, dans ma chambre, j’aurais une immense forêt descendant vers un fleuve et où les petits enfants se perdraient.


Un détail attire notre attention. L'expression "...qu’on sent très bien être ..." surprend. La langue achoppe entre "bien" et "être", comme s'il manquait une liaison (bien qu'il n’en faille pas). Et celle-ci manque en effet si on considère le mot correspondant dont on a l’habitude : "bien-être" (bien-n-être) mot usuel qui possède bien lui l'habituelle liaison entre une consonne et une voyelle qui lui succède.
Puis la phrase se poursuit (des cèdres, des chênes, des mancenilliers). Et nous retrouvons le "n" manquant qui réapparaît ça et là, saute d’une syllabe finale à une intermédiaire et revient nous hanter en jouant avec sa consonne opposée le "c" /s/ mais surtout avec notre langue pour nous torturer délicieusement.
Une fois encore, le mot populaire "caché" par Proust est dans un rapport très étroit avec le sens du propos. Le bien-être, n'est-ce pas la sensation principale d'Albertine au moment où elle raconte son histoire ( et nous fait grincer des dents au moment même où elle prononce ce mot, à nous comme au narrateur écrasé de jalousie à cet instant ) ?


Il nous reste maintenant à vous inviter à poursuivre et découvrir ces trésors magnifiquement semés par Marcel Proust le long de son oeuvre, parce que trouvés par vous-même, ils n'en sont que meilleurs.

David Orbach
Coste-Orbach architectes

(1) Originellement Proust a trouvé l'idée d'associer la carafe à de l'"eau durcie" chez Emile Mâle dans son livre l'art religieux du XIII ème siècle en France ( p 169 collection Le livre de poche) et qui citait lui-même Anselme de Laon disant "le cristal est de l'eau durcie".


(2) Nous confirmons donc ici qu'il n'y a aucun lien entre le son du mot "Guermantes" et celui de la lumière "orange" puisque, comme cela a été déjà remarqué par Jean Milly in La phrase de Proust (p 75), le mot "Guermantes" qui contient la voyelle /a/ peut faire autant penser à la couleur blanche qu'à l'orange ou même l’amarante.

http://coste-orbach.blogspot.com/2006/08/la-construction-potique-de-la-recherche.html

NOVEMBRE 2010


Stéphane Hessel: «C'est en s'engageant qu'on devient Homme»

11 Novembre 2010 Par Pierre Puchot Mediapart


«Je suis un sartrien, je considère qu'il a raison quand il dit: “On devient Homme en s'engageant.”» On a beau connaître son parcours, ses vies multiples, un entretien avec Stéphane Hessel reste un moment particulier. À 93 ans, l'ambassadeur de France demeure porté par une énergie hors du commun qui lui permet, en l'espace d'une semaine, de prendre la parole à Buchenwald, où il fut déporté, puis de se rendre à Gaza pour réclamer la libération du soldat franco-israélien Guilad Shalit face au premier ministre du Hamas.

Stéphane Hessel a pourtant vécu une rentrée pour le moins agitée. Mais face la menace de plainte pour antisémitisme que lui a valu son soutien à la campagne de boycott des produits israéliens (la campagne «BDS»); face aux attaques pour le moins outrancières de Pierre-André Taguieff, qui qualifiait l'ambassadeur de France de «serpent dont il faudrait écraser la tête»; à l'heure où France 5 diffuse un documentaire sur son parcours hors norme que les téléspectateurs pourront découvrir vendredi 12 novembre, Stéphane Hessel ne baisse pas la garde. Et lorsque Nicolas Sarkozy rend hommage à de Gaulle en appelant à «chercher sous la diversité française l'unité profonde de la nation», l'ancien ambassadeur lui réplique en se déclarant «ennemi juré de MM. Hortefeux et Besson», qui «ont fait de ce ministère de l'immigration, de l'identité nationale, une machine pour se permettre d'expulser à tour de bras des gens qui soi-disant ne correspondent pas à ce que devrait être l'identité française.» Entretien.


Stéphane Hessel, la France commémore cette semaine le 40e anniversaire de la mort du général de Gaulle, que vous avez rejoint à Londres en 1941, et que vous avez bien connu. Dans son discours, prononcé mardi 9 novembre à Colombey-les-Deux-Eglises, Nicolas Sarkozy évoque un certain nombre de principes qu'il considère comme étant les valeurs héritées du gaullisme, et notamment le devoir de «chercher sous la diversité française l'unité profonde de la Nation». Dans le contexte actuel, cette phrase ne nous interroge-t-elle pas?
C'est tout le problème de l'accueil de l'étranger en France. Il y a les belles paroles, où l'on retrouve l'universalité des valeurs françaises. Si l'on entend par là l'universalité que l'on doit imposer, de certaines valeurs de la France profonde, de la France des vingt siècles des rois qui ont fait la nation, qui n'a rien à voir avec ce qu'apportent les Italiens, les Espagnols, les Maghrébins ou les Africains, alors c'est évidemment une absurdité. Il n'y a pas une France profonde, qui surgirait à l'encontre des apports nombreux. La France est le résultat de ces apports nombreux. Sa qualité de terre d'accueil me paraît tout à fait nécessaire. Je suis donc un ennemi juré de MM. Hortefeux et Besson, dont j'estime qu'ils ont fait de ce ministère de l'immigration, de l'identité nationale, une machine pour se permettre d'expulser à tour de bras, des gens qui; soi-disant, ne correspondent pas à ce que devrait être l'identité française.
On peut être un pays intelligent, qui profite de l'attrait qu'il exerce sur d'autres peuples, et qui profite par là de l'apport d'autres cultures. Il y a deux manières de concevoir l'immigration. L'une est la crainte sécuritaire: ils viennent, ils sont clandestins, ils vont devenir délinquants, il faut les mettre à la porte. L'autre: ils viennent, ils ont des problèmes d'adaptation, il faut en tenir compte, il faut leur donner une place honorable dans notre société, dont ils peuvent être des facteurs de progrès.
Sur un plan plus personnel, comment avez-vous réagi à la sortie agressive de Pierre-André Taguieff à votre endroit?
Je connaissais cet homme, je sais que c'est quelqu'un de très, disons, juif israélien profondément sioniste, et je n'ai pas été surpris qu'il prenne position contre moi. Il l'a fait d'une manière totalement discourtoise, en parlant d'un serpent dont il faudrait écraser la tête. J'aurais préféré qu'on en reste là. Mais, comme il ne m'attaquait pas seulement moi mais aussi tous ceux qui, comme moi, défendent l'idée qu'il faut boycotter les produits des colonies israéliennes en Cisjordanie, et que ces gens risquent d'avoir des ennuis avec la justice française, j'ai encouragé la rédaction d'un appel, en mon nom et celui d'un certain nombre d'autres personnes, dans lequel nous disons: «Cette attaque est absurde, Stéphane Hessel est un ami d'Israël, et pas du tout un antisémite, il défend les thèses des Nations unies, etc.» (Mediapart a publié ce texte que vous pouvez retrouver ici).
Il y a eu dans Le Monde un papier, avec des signatures comme celle de Bernard-Henri Lévy, qui a mis en question la notion de boycottage de produits israéliens, en confondant un peu produits des colonies, et produits d'Israël même, et en disant que ce n'était pas une bonne façon de poser le problème, ce que l'on comprend. Ils ont fait allusion à ma position, qui serait une défense de BDS (Boycott désinvestissement, sanctions). Face à cela, un certain nombre de mes camarades ambassadeurs ont décidé de porter une réplique au Monde, qui va peut-être paraître. Personnellement, tout cela me paraît complètement absurde. Je n'ai aucun amour-propre. Qu'on m'attaque, pourquoi pas? Mais avec un minimum de courtoisie tout de même.
Quelle est précisément votre position? Accordez-vous un soutien total à la campagne BDS?
Non. Enfin... la campagne de BDS est duelle: il y a ceux qui disent qu'il faut boycotter les produits israéliens en général et ceux qui poussent à boycotter les produits des colonies, qui sont illégales. Je me range dans cette seconde catégorie. Mais lorsque des gens qui sont dans la première catégorie sont traînés devant la justice pour antisémitisme, je dis: «Attention. Ce n'est pas de l'antisémitisme de dire qu'il y a un pays qui se conduit mal et dont il faut boycotter les produits.» Je me porte défenseur vis-à-vis de la justice française. Je lui dis: «Vous n'avez pas à juger des gens qui prennent des positions politiques qui ne sont pas du racisme ou de l'antisémitisme, mais qui sont des positions plus ou moins fermes sur le droit international.»

Il a été question d'une plainte contre vous pour antisémitisme. Où en est-on?
Elle n'a jamais vu le jour. Ce n'était pas tant une plainte pour antisémitisme que pour mon soutien à la campagne BDS. Il y a un procès qui doit se tenir à Mulhouse sur ce sujet dans quelques jours et j'apporte mon soutien à ceux qui dans ce procès défendent les partisans de BDS. Voilà où l'on en est. Y aura-t-il à un moment donné quelqu'un qui aura le «courage» de m'assigner devant un tribunal pour antisémitisme militant, ou négation de la Shoah? Évidemment, c'est absurde, d'autant que des membres de ma famille en sont morts, et que j'ai moi-même été déporté. M'attaquer là-dessus ne correspond à rien.

D'où vous vient cet engagement pour la population palestinienne?
À l'origine, ce sont des Israéliens, parmi les plus dissidents, qui se sont adressés à la diaspora (mon père était juif) nous considérant comme des juifs qui doivent, nous disaient-ils, se rendre compte de ce que devient l'Etat auquel ils ont donné leur appui quand il a été créé: «Vous devriez venir voir où les gouvernements israéliens successifs nous ont menés.» J'ai répondu à cet appel. J'ai été une première fois là-bas dans les années 1990. J'y suis retourné à plusieurs reprises et j'ai effectivement constaté à quel point la cause palestinienne était mal défendue, et la cause israélienne libre d'agir dans l'impunité complète. Comme je suis plutôt un homme du droit international, j'ai voulu faire valoir que nous, les membres des Nations unies, avions des obligations à l'égard du peuple palestinien, et j'ai commencé à défendre l'idée que laisser la politique israélienne impunie était contraire au droit international. C'est une démarche relativement récente car il y a encore vingt ans, je m'occupais peu du problème palestinien. Mais depuis la fin des années 1990, j'y suis allé au moins six fois, et j'ai constaté que l'on comprenait certaines choses quand on était sur place. C'est seulement sur place que l'on peut comprendre comment les politiques israéliennes successives ont été néfastes pour les Palestiniens, contraires au droit international, et à terme, contraires à l'intérêt bien compris de la population israélienne, qui ne peut espérer une véritable sécurité s'il n'y a pas enfin un Etat palestinien avec lequel elle peut avoir des relations de voisinage.

Un dossier sur lequel la presse française est particulièrement silencieuse et pour lequel vous avez pris fait et cause, c'est celui du franco-palestinien Salah Hamouri, reconnu coupable de tentative de meurtre et condamné à la prison en Israël...
Salah Hamouri a plaidé coupable alors qu'il était innocent. Je me suis manifesté à plusieurs reprises, j'ai écrit à Kouchner en lui disant:«Qu'est-ce que vous faites pour la libération de Hamouri, vous qui avez des amis israéliens, obtenez donc cela.» La réponse de Kouchner a toujours été de dire: «Qu'est-ce que vous voulez, il a plaidé coupable...» Donc vraiment là, je trouve que l'officialité française a été nulle. (Inculpé en 2005 pour avoir projeté de tuer le rabbin Ovadia Yossef, Salah Hamouri n’a cessé de proclamer son innocence, avant d’accepter finalement de plaider coupable après trois ans de détention administrative. Il a été condamné par le tribunal militaire israélien à une peine de sept ans de prison, qu'il purge actuellement à la prison de Guilboa.)
Alors que vis-à-vis de Guilad Shalit, qui est un problème similaire, mais de l'autre côté, on s'est beaucoup manifestés, sans obtenir de résultats d'ailleurs. Quand nous étions il y a dix jours à Gaza, la première chose que nous avons demandé à Ismail Haniyeh, c'est de pouvoir voir Guilad Shalit, en lui disant: «Montrez-le-nous, au moins, même si vous ne voulez pas le libérer, montrez-le-nous pour que nous puissions rapporter un message en France.» La réponse a été: «Je voudrais bien mais je ne peux pas: ça ne dépend pas exclusivement de moi.» Haniyeh, que je considère plutôt comme un modéré, n'a pas la main sur le Djihad islamique et d'autres factions, qui détiennent Shalit, et qui n'ont l'intention, ni de le lâcher, ni de le faire voir.
Vous vous étiez déjà rendu à Gaza en juin 2009, cinq mois après l'opération Plomb durci...
J'avais d'ailleurs pu constater que les éléments présents dans les rapports Goldstone étaient tout à fait véridiques. Les destructions considérables, le nombre de morts, au moins 1.400, beaucoup d'enfants traumatisés... Bref, cela a été une opération affreuse, on peut parler de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité comme le fait le rapport.

Vous dites considérer Ismail Haniyeh comme un «modéré». Vous qui avez fait une grande partie de votre carrière dans la diplomatie, que pensez-vous du fait que lui-même et son parti, le Hamas, soient exclus des négociations de paix entamées le 2 septembre à Washington entre Israéliens et Palestiniens?
C'est une erreur et cela m'a été confirmé par le patron de l'Unrwa (l'Agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens), l'Irlandais John Ging, qui m'a dit: «C'est absurde de ne pas même prendre contact avec Ismail Haniyeh. Tony Blair vient à Gaza, il ne prend même pas contact avec l'homme qui dirige.» Que ce soit quelqu'un dont les thèses ne répondent pas aux nôtres, ou à celles d'Israël, bien sûr. C'est un adversaire, mais avec lequel il faut parler. Et je constate que c'est un adversaire qui cherche à retrouver le contact avec les autres Palestiniens. Ce n'est pas un obstiné, ni un radical.

Le rapport Goldstone fait aussi mention de crimes de guerre commis par le Hamas. En outre, la presse israélienne et internationale se sont beaucoup fait l'écho ces derniers mois d'une reprise en main du Hamas, d'un climat sécuritaire très lourd pour la population de Gaza. Avez-vous ressenti cela vous-même ?
C'est la question que nous avons posée à Ismail Haniyeh: «Il y a des organisations ici qui se plaignent que vous mettiez la main sur elles, que vous les empêchiez de faire ce qu'elles ont envie de faire.» Sa réponse a été: «Non, je ne cherche pas à mettre la main dessus, et si des personnes ont cette impression, que l'on n'hésite pas à me le signaler.» C'est de la langue de bois, bien sûr. Je ne dis pas du tout que le régime de Gaza soit démocratique. Mais je dis que c'est un interlocuteur avec lequel il est possible de négocier et d'obtenir des choses.
Quelques jours avant de partir à Gaza, vous étiez à Buchenwald, où vous avez été déporté au cours du second conflit mondial. Pourquoi y retourner, quand ce souvenir doit être particulièrement éprouvant pour vous ?
D'une part, j'ai une espèce d'attachement au souvenir de ce camp, et j'y suis retourné plusieurs fois pour des manifestations, cinquantième, soixantième anniversaire. Cette fois-ci, c'était tout à fait autre chose, et cela m'a particulièrement ému. J'étais arrivé à Buchenwald avec un groupe de 36 camarades, dont 30 ont été soit pendus, soit fusillés. Et l'organisation britannique SOI qui faisait un travail de résistance en France a décidé d'apposer au crématorium de Buchenwald une plaque avec les noms de ces 30 camarades qui ont été exécutés, les uns au croc de boucherie, les autres fusillés. Ils m'ont dit : «Vous êtes le dernier survivant de tout cela. Voulez-vous venir assister à cette cérémonie?» J'ai répondu que naturellement je serais là, que c'était mon devoir, et même de parler, pour les descendants de ces 30 camarades, dont plusieurs étaient présents eux aussi, et de leur dire comment cela s'était passé, quels avaient été les derniers jours que nous avions passé ensemble.

Dans quelle mesure, et de quelle manière, le souvenir de cette période existe encore en vous, soixante-six années plus tard, alors que vous donnez la sensation d'avoir vécu tant de vies?
Dès ma sortie de la Seconde Guerre mondiale, y compris Buchenwald et Dora, j'en ai tiré des conclusions sur le plan moral et psychologique. Je me suis dit: «Quand on a eu la chance de survivre à cela, et que l'on peut témoigner des horreurs qu'a été le nazisme, il faut s'engager.» Et je l'ai fait très vite, au sein des Nations unies, qui m'apparaissaient comme la meilleure réponse à ce qu'avait été la Seconde Guerre mondiale. Par conséquent, je garde une sorte de responsabilité, quand on parle de cette période, je suis heureux d'être là pour dire: «Voilà pourquoi c'était horrible, pourquoi il ne faut pas que cela recommence.» Des choses banales, mais qui font partie de ma personnalité. Je suis le survivant des camps, de même que l'un des participants à la rédaction de cette déclaration universelle qui a été la réponse internationale à ce que nous avions vécu. Voilà comment je considère mon engagement. Je suis un sartrien, je considère qu'il a raison quand il dit que l'on devient un homme en s'engageant, on peut ajouter: «en s'indignant», d'où le titre de la petite brochure qui paraît ces jours-ci. C'est un peu ce passage dans les camps qui a renforcé en moi ce désir de manifester.

Dans cette «brochure», Indignez-vous, vous appelez notamment à une «insurrection pacifique». De quoi s'agit-il?
Je cite ce que font des Palestiniens dans un village qui se situe tout près du fameux mur construit par Israël en terre palestinienne, qui en sont donc les victimes et qui, pour protester, organisent tous les vendredis une marche qu'ils veulent pacifique, puisqu'ils interdisent aux gosses de lancer des pierres. En général, ils sont accueillis par des soldats israéliens, qui n'hésitent pas à envoyer des gaz lacrymogènes, ou même des balles en caoutchouc. C'est ce que j'appelle l'insurrection pacifique. C'est cela que les Israéliens ont eu le culot d'appeler«terrorisme non-violent», comme si on pouvait être non-violent et terroriste. Toute violence appelant une violence en retour, celle-ci n'est jamais une bonne manière de résoudre un problème.
L'un des secrets de votre vivacité intellectuelle est, paraît-il, votre goût pour la poésie. Vous vous astreignez, dit-on, à apprendre au moins un poème par jour.
C'est un peu excessif. Mon vrai plaisir, c'est de réciter de la poésie. Pour m'endormir, je me récite parfois à moi-même quelque poème. Quand je m'ennuie, je m'en récite un autre, et je suis heureux. Celui-ci, d'Apollinaire, c'est le dernier que j'ai appris:
J'ai cueilli ce brin de bruyère,
L'automne est morte, souviens-t-en,
Nous ne nous verrons plus sur terre.
Odeur du temps, brin de bruyère,
Et souviens-toi que je t'attends.


(Retrouver l'enregistrement de cet entretien d'une durée de 42 min sous l'onglet Prolonger de cet article).

Source TERRA : http://www.mediapart.fr/journal/international/091110/stephane-hessel-cest-en-sengageant-quon-devient-homme



Les Nouvelles News

Résistez. "Indignez-vous !"

Écrit par La rédaction - Jeudi, 11 Novembre 2010 09:11
Appel à une « véritable insurrection pacifique ». Avec Stéphane Hessel qui publie « indignez-vous ! », le Conseil national de la résistance appelle « ceux et celles qui feront le siècle qui commence » à s’indigner. Intérêt général, pauvreté et écarts de richesse, liberté de la presse, dictature des marchés financiers … Attention à ne pas cautionner aujourd’hui « ce que nous aurions refusé de cautionner si nous avions été les véritables héritiers du Conseil National de la Résistance » de 1944.


C’est un petit livre de 22 pages à 3 euros, publié chez Indigène-Editions : “Indignez-vous ! ”, sous la plume de Stéphane Hessel, Ancien résistant, diplomate, impliqué dans la rédaction de la Déclaration des Droits de l’Homme des Nations unies en 1948… Et une vidéo, réalisée par Le Conseil national de la résistance.
« Cherchez et vous trouverez » les motifs d’indignation écrit Stéphanne Hessel : l’écart qui se creuse entre les très riches et les très pauvres, le traitement fait aux sans-papiers, aux immigrés, l’état de la planète, la compétition économique impitoyable, la dictature internationale des marchés financiers, et même les retraites et la Sécurité Sociale…
Ces deux documents veulent réveiller les jeunes générations. Ne pas céder au fatalisme. Pas question de reculer sur le programme élaboré il y a 70 ans par le Conseil national de la résistance Il faut résister pour revenir aux fondamentaux : primauté de l’intérêt général sur l’intérêt particulier, presse indépendante du Pouvoir et des puissances d’argent.
Extraits :
« C’est tout le socle des conquêtes sociales de la Résistance qui est aujourd’hui remis en cause. »
Appel à l’insurrection pacifique « contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous. »
On ose nous dire que l’État ne peut plus assurer les coûts de ces mesures citoyennes. Mais comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l’Europe était ruinée ? Sinon parce que le pouvoir de l’argent, tellement combattu par la Résistance, n’a jamais été aussi grand, insolent, égoïste, avec ses propres serviteurs jusque dans les plus hautes sphères de l’État.
(…)
C’est vrai, les raisons de s’indigner peuvent paraître aujourd’hui moins nette ou le monde trop complexe. Qui commande, qui décide ? Il n’est pas toujours facile de distinguer entre tous les courants qui nous gouvernent. Nous n’avons plus affaire à une petite élite dont nous comprenons clairement les agissements. C’est un vaste monde. Nous sentons bien qu’il est interdépendant. Nous vivons dans une interconnectivité comme jamais il n’en a existé. Mais dans ce monde, il y a des choses insupportables.

Dans la video : Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey
Pour en savoir plus sur Stéphane Hessel, Un billet de Nicolas Bordas
L'appel : http://www.dailymotion.com/video/xb40jb_creer-c-est-resister-resister-c-es_news
Vidéo : http://www.dailymotion.com/video/xfbfb7_indignez-vous_news#from=embed


Source TERRA : http://www.lesnouvellesnews.fr/index.php/civilisation-articles-section/civilisation/763-resistez-indignez-vous-

Blog de Nicolas Bordas
Et si résister, c'était créer ?

Comme tous les dimanches, c’est #JourDuPenseur, avec aujourd’hui, l’un des hommes vivants que je respecte le plus. J’ai eu la chance de rencontrer à plusieurs reprises Stephane Hessel dans le cadre du Collegium (un think tank d’anciens présidents, premier ministres et intellectuels du monde entier), que j’essaie d’aider ponctuellement à titre personnel (voir mon post du 22 décembre 2009 ” Et si on accélérait la mise en place d’une gouvernance mondiale” ou écouter l’interview de Stephane Hessel ci-dessus). Ancien résistant et évadé des camps de la mort, Stephane Hessel, à 93 ans, a gardé une jeunesse d’esprit et une intelligence irréelle et radieuse. Peu d’hommes du 20ème siècle ont eu une vie aussi pleinement remplie que la sienne. Son tout dernier livre après sa biographie “Danse avec le siècle” publiée il y a trois ans, est un petit opuscule “Indignez-vous ! ” de la collection “Ceux qui marchent contre le vent” chez Indigène Editions, qui a été épuisé dans toutes les Fnac la semaine de sa sortie. Il m’a fallu l’emprunter à un des meilleurs amis de Stephane Hessel, Sacha Goldman (secrétaire général du Collegium International) que je remercie ici, pour le lire et vous le commenter.
Né à Berlin en 1917 d’un père juif écrivain et d’une mère peintre et mélomane, Stéphane Hessel fréquente à Paris l’avant garde culturelle parisienne, en particulier Marcel Duchamp et Alexandre Calder. Truffaut s’inspirera de l’histoire des parents de Stéphane pour son film culte Jules et Jim. Naturalisé Français en 1937, il entre à Normale Sup en 1939, et rejoint en mai 1941 le Général De Gaulle à Londres. Il revient à Paris en 1944 pour une mission de résistance , et se fait arrêter sur dénonciation par la Gestapo le 10 juillet 1944. Après des interrogatoires sous la torture, il est envoyé au camp de Buchenwald le 8 aout 1944. A la veille d’être pendu, il parvient à échanger son identité avec un Français décédé du typhus, et il est transféré sous un nouveau nom dans un autre camp, d’où il s’évade une première fois, avant d’être repris, réinterné dans une compagnie disciplinaire, d’où il réussit à s’évader de nouveau en sautant d’un train, profitant de sa maitrise parfaite de la langue allemande. En 1946, il devient diplomate et il rejoint la Commission chargée d’élaborer ce qui deviendra la déclaration Universelle des Droits de l’homme. Il deviendra ensuite ambassadeur auprès des Nations Unies, puis fondera en 2002 avec Michel Rocard, le Collegium International qui réunit des anciens chefs d’état ou de gouvernement du monde entier et des membres éminents de la société civile comme Edgar Morin, René Passet, Jurgen Habermas ou Henri Atlan, pour n’en citer que quelques uns.
“Indignez-vous” est un petit livre de 22 pages qui commence ainsi : ” 93 ans. C’est un peu la toute dernière étape. La fin n’est plus bien loin. Quelle chance de pouvoir en profiter pour rappeler ce qui a servi de socle à mon engagement politique : les années de résistance…” et se termine ainsi : ” CREER, C’EST RESISTER.RESISTER, C’EST CREER”. Pour Stephane Hessel, “il nous appartient de veiller ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers” en ne cautionnant pas aujourd’hui ” ce que nous aurions refusé de cautionner si nous avions été les véritables héritiers du Conseil National de la Résistance” de 1944, qui prônait la primauté de l’intérêt général sur l’intérêt particulier, une presse véritablement indépendante du Pouvoir et des puissances d’argent. Pour Hessel, “le motif de la résistance, c’est l’indignation”, et c’est pourquoi il propose “aux jeunes générations de faire vivre, transmettre, l’héritage de la Résistance et de ses idéaux ” en leur disant “Prenez le relais, indignez-vous !” pour devenir ” militant, fort et engagé”. Pour Stéphane Hessel, “l’indifférence est la pire des attitudes”, même si les raisons de s’indigner aujourd’hui peuvent paraitre moins nettes ou le monde trop complexe, en comparaison des combats qui furent les siens contre le nazisme, pour l’Algérie indépendante, ou contre le totalitarisme Stalinien. Pour Hessel aujourd’hui, deux grands combats méritent d’être menés : la réduction de l’écart de richesse entre les très pauvres et les très riches qui ne cesse d’augmenter, et les droits de l’homme et l’état de la planète. Stéphane Hessel prône l’action en réseau en profitant de “tous les moyens modernes de communication”. Mais l’indignation ultime d’Hessel restera la situation de la Palestine, de la bande de Gaza et de la Cisjordanie qu’il connait si bien, pour y avoir encore été l’an dernier. Il renvoie dos à dos Israël et le Hamas à leurs responsabilités, convaincu que la non-violence et la conciliation des cultures différentes est “le chemin que nous devons apprendre à suivre”. Il nous faut comprendre que la violence “tourne le dos à l’espoir”, et c’est pourquoi il appelle à “une insurrection pacifique” pour éviter que les risques qui nous menacent mettent “un terme à l’aventure humaine sur une planète qu’elle peut rendre inhabitable pour l’homme”.


Source TERRA : http://www.nicolasbordas.fr/et-si-creer-cetait-resister