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AVRIL 2007

Le cerveau d'un homme de droite.
DeBoston(U.S.A.) deMichelONFRAY 03avril2007


La revue Philosophie magazine m'a demandé si, sur le principe, j'acceptais de rencontrer l'un des candidats à la présidentielles pour le questionner sur son programme culturel, son rapport aux choses de l'esprit ou sa relation à la philosophie. Dans la foulée de mon consentement, la rédaction m'a rappelé en me demandant si
j'avais une objection contre Nicolas Sarkozy. Pas plus avec lui qu'avec un autre, j'aurais même consenti à Jean-Marie Le Pen tant l'approche de l'un de ces animaux politiques m'intéressait comme on visite un zoo ou un musée des horreurs dans une faculté de médecine. Ce fut donc Nicolas Sarkozy. Il me paraît assez probable que son temps passé - donc perdu.- avec Doc Gynéco ou Johnny Hallyday le dispensait de connaître un peu mon travail, même de loin. Je comptais sur la fiche des renseignements généraux et les notes de collaborateurs. De fait, les porte plumes
avaient fait au plus rapide : en l'occurrence la copie de mon blog consacrée à son auguste personne. Pour mémoire, son titre était : Les habits de grand- mère Sarkozy - j'y montrais combien le candidat officiel drapait ses poils de loup dans une capeline
républicaine bien inédite . Je me trouvais donc dans l'antichambre du bureau de la fameuse grand mère Sarkozy, place Beauvau, en compagnie de deux compères de
la rédaction de la revue et d'un photographe qui n'en revenaient pas de se retrouver dans cette géographie de tous les coups fourrés de la République. Epicentre de la stratégie et de la tactique politique policière, espace du cynisme en acte, officine du
machiavélisme en or d'Etat, et portraits des figures disciplinaires de l'histoire de France représentées en médaillons d'austères sinistres. Arrivée du Ministre de l'intérieur avec un quart d'heure d'avance, il est 17h00 ce mardi 20 février. Début houleux. Agressivité de sa part. Il tourne dans la cage, regarde, jauge, juge, apprécie la situation. Grand fauve blessé, il a lu mes pages de blog et me toise - bien qu'assis dans un fauteuil près de la cheminée. Il a les jambes croisées, l'une d'entre elles est animée d'un incessant mouvement de nervosité, le pied n'arrête pas de bouger. Il tient un cigare fin et long, étrange module assez féminin. Chemise ouverte, pas de cravate, bijoux en or, bracelet d'adolescent au poignet, cadeau de son fils probablement. Plus il en rajoute dans la nervosité, plus j'exhibe mon calme.
Premier coup de patte, toutes griffes dehors, puis deuxième, troisième, il n'arrête plus, se lâche, agresse, tape, cogne, parle tout seul, débit impossible à contenir ou à canaliser. Une, deux, dix, vingt phrases autistes. Le directeur de cabinet et le porte-
plume regardent et écoutent, impassibles. On les imagine capables d'assister à un interrogatoire musclé arborant le même masque, celui des gens de pouvoir qui observent comment on meurt en direct et ne bronchent pas. Le spectacle des combats de gladiateurs. Je sens l'air glacial que transportent avec eux ceux qui, d'un geste du pouce, tuent ou épargnent. Poursuite du monologue. Logorrhée interminable. Vacheries lancées comme le jet de fiel d'une bile malade ou comme un venin pulsé par le projet du meurtre. Hâbleur, provocateur, sûr de lui en excitant l'adversaire à se
battre, il affirme en substance : « Alors, on vient voir le grand démagogue alors qu'on n'est rien du tout et, en plus, on vient se jeter dans la gueule du loup. » !
Je fais une phrase. Elle est pulvérisée, détruite, cassée, interdite, morcelée : encore du cynisme sans élégance, toujours des phrases dont on sent qu'il les souhaiterait plus dangereuses, plus mortelles sans parvenir à trouver le coup fatal. La haine ne trouve
pas d'autre chemin que dans cette série d'aveux de blessure. J'avance une autre phrase. Même traitement, flots de verbes, flux de mots, jets d'acides. Une troisième. Idem. Je commence à trouver la crise un peu longue. De toute façon démesurée, disproportionnée. Si l'on veut être Président de la République, si l'on s'y prépare
depuis le berceau, si l'on souhaite présider les destinées d'un pays deux fois millénaires et jouer dans la cour des grands fauves de la planète, si l'on se prépare à disposer du feu nucléaire, si l'on s'expose depuis des années en s'invitant tous les jours dans les informations de toutes les presses, écrites, parlées, photographiées, numérisées, si l'on mène sa vie publique comme une vie privée, et vice versa, si l'on aspire à devenir le chef des armées, si l'on doit un jour garantir l'Etat, la Nation, la
République, la Constitution, si, si, si, alors comment peut on réagir comme un animal blessé à mort, comme une bête souffrante, alors qu'on a juste à reprocher à son interlocuteur un blog confidentiel peu amène , certes, mais inoffensif ?
Car je n'ai contre moi, pour justifier ce traitement disproportionné , que d'avoir signalé dans une poignée de feuillets sur un blog , que le candidat aux présidentielles me semblait très récemment et fort fraîchement converti à De Gaulle, au gaullisme, à
la Nation, à la République, que ses citations de Jaurès et Blum apparaissaient fort opportunément dans un trajet d'une trentaine d'années au cours desquelles ces grands noms étaient introuvables dans ses interventions , questions qui, au demeurant, rendaient possible un débat, et que c'était d'ailleurs pour ces raisons que nous étions là, Alexandre Lacroix, Nicolas Truong et moi.. Cette colère ne fut stoppée que par l'incidence d'une sonnerie de téléphone portable qui le fit s'éloigner dans la pièce d'à côté. Tout en se déplaçant, il répondait avec une voix douce, tendre, très affectueuse, avec des mots doux destinés très probablement à l'un de ses enfants. Le fauve déchaîné tout seul devenait un félin de salon ronronnant de manière domestique. En l'absence du ministre, je m'ouvre à mes deux comparses en présence des deux siens et leur dit que je ne suis pas venu pour ce genre de happening hystérique et que j'envisage de quitter la place séance tenante. J'étais venu en adversaire politique, certes, la chose me paraissait entendue, et d'ailleurs plutôt publique, mais ceci n'excluait pas un débat sur le fond que je souhaitais et que
j'avais préparé en apportant quatre livres enveloppés dans du papier cadeau ! Quiconque a lu Marcel Mauss sait qu'un don contraint à un contre don et j'attendais quelque chose d'inédit dans ce potlatch de primitifs post-modernes . Vaguement liquéfié, et sibyllin, le tandem de l'équipe de Philosophie magazine voyant leur scoop s'évaporer dans les vapeurs du bureau propose, dès le retour du Ministre, que nous passions à autre chose et que j'offre mes cadeaux. Je refuse en disant que les
conditions ne sont pas réunies pour ce genre de geste et que, dans tous les sens du terme, il ne s'agit plus de se faire de cadeaux. « Passons alors à des questions ? A un débat ? Essayons d'échanger ? » tentent Alexandre Lacroix et Nicolas Truong. Essais, ébauche. En tiers bien à la peine, ils reprennent leurs feuilles et lancent deux ou trois sujets. La vitesse de la violence du ministre est moindre, certes, mais le registre demeure : colère froide en lieu et place de la colère incandescente, mais colère tout de même. Sur de Gaulle et le gaullisme récent, sur la Nation et la
République en vedettes américaines - disons le comme ça.- de son discours d'investiture , sur la confiscation des grands noms de gauche, sur l'Atlantisme ancien du candidat et son incompatibilité avec la doctrine gaullienne, le débat ne prend pas plus . Il m'interpelle : « quelle est ma légitimité pour poser de pareilles
questions ? Quels sont mes brevets de gaullisme à moi qui parle de la sorte ? Quelle arrogance me permet de croire que Guy Môcquet appartient plus à la gauche qu'à la France ? ». Donc à lui. Pas d'échanges, mais une machine performante à récuser les
questions pour éviter la franche confrontation. Cet homme prend toute opposition de doctrine pour une récusation de sa personne. Je pressens que, de fait, la clé du personnage pourrait bien être dans l'affirmation d'autant plus massive de sa subjectivité qu'elle est fragile, incertaine, à conquérir encore. La force affichée masque mal la faiblesse viscérale et vécue. Aux sommets de la République,
autrement dit dans la cage des grands fauves politiques, on ne trouve semble-t-il qu'impuissants sur eux-mêmes et qui, pour cette même raison, aspirent à la puissance sur les autres. Je me sens soudain Sénèque assis dans le salon de Néron. Habilement, les deux compères tâchent de reprendre le cours des choses, d'accéder un peu aux commandes de ce débat qui n'a pas eu lieu et qui, pour l'instant, leur échappe totalement. De fait, l'ensemble de cette première demi-heure se réduisait à la
théâtralisation hystérique d'un être perdu corps et âme dans une danse de mort autour d'une victime émissaire qui assiste à la scène pendant que, de part et d'autre des deux camps, deux fois deux hommes assistent, impuissants, à cette scène primitive du chef de horde possédé par les esprits de la guerre. Grand moment de transe chamanique dans le bureau d'un Ministre de l'intérieur aspirant aux fonctions suprêmes de la République ! Odeurs de sang et de remugles primitifs, traces de bile et de fiel, le sol ressemble à la terre battue jonchées d'immondices après une cérémonie vaudoue.
Tout bascule quand nous entamons une discussion sur la responsabilité, donc la liberté, donc la culpabilité, donc les fondements de la logique disciplinaire : la sienne . Nicolas Sarkozy parle d'une visite faite à la prison des femmes de Rennes.
Nous avons laissé la politique derrière nous. Dès lors, il ne sera plus le même homme. Devenant homme, justement, autrement dit débarrassé des oripeaux de son métier, il fait le geste d'un poing serré porté à son côté droit du ventre et parle du mal comme d'une chose visible, dans le corps, dans la chair, dans les viscères de
l'être. Je crois comprendre qu'il pense que le mal existe comme une entité
séparée, claire, métaphysique, objectivable, à la manière d'une tumeur, sans aucune relation avec le social, la société, la politique, les conditions historiques. Je le questionne pour vérifier mon intuition : de fait, il pense que nous naissons bons
ou mauvais et que, quoi qu'il arrive, quoi qu'on fasse, tout est déjà réglé par la nature. A ce moment, je perçois là la métaphysique de droite, la pensée de
droite, l'ontologie de droite : l'existence d'idées pures sans relations avec le monde. Le Mal, le Bien, les Bons, les Méchants, et l'on peut ainsi continuer : les Courageux, les Fainéants, les Travailleurs, les Assistés, un genre de théâtre sur lequel chacun
joue son rôle, écrit bien en amont par un Destin qui organise tout. Un Destin ou Dieu si l'on veut. Ainsi le Gendarme, le Policier, le Juge, le Soldat, le Militaire et, en face, le Criminel, le Délinquant, le Contrevenant, l'Ennemi. Logique de guerre qui
interdit toute paix possible un jour. Dès lors, ne cherchons pas plus loin, chacun doit faire ce pour quoi il a été destiné : le Ministre de l'Intérieur effectue son
travail, le Violeur le sien, et il en va d'une répartition providentielle (au sens théologique du terme) de ces rôles. Où l'on voit comment la pensée de droite s'articule à merveille avec l'outillage métaphysique chrétien : la faute, la pureté, le péché, la grâce, la culpabilité, la moralité, les bons, les méchants, le bien, le mal, la punition, la réparation, la damnation, la rédemption, l'enfer, le paradis, la prison, la légion d'honneur, etc. J'avance l'idée inverse : on ne choisit pas, d'ailleurs on a peu le
choix, car les déterminismes sont puissants, divers, multiples. On ne naît pas ce que l'on est, on le devient. Il rechigne et refuse. Et les déterminismes biologiques, psychiques, politiques, économiques, historiques, géographiques ? Rien n'y fait. Il
affirme : « J'inclinerais pour ma part à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie-là. Il y a 1200 ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n'est pas parce que leurs
parents s'en sont mal occupés ! Mais parce que génétiquement ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d'autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l'inné est immense ». « Génétiquement » : une position intellectuelle tellement répandue outre-Atlantique ! La génétique, l'inné, contre le social et l'acquis ! Les vieilles lignes de partage entre l'individu responsable de tout, la société de rien qui caractérise la droite, ou la société coupable de tout,
l'individu de rien, qui constitue la scie musicale de la gauche . Laissons de côté la théorie. Je passe à l'exemple pour mieux tâcher de montrer que le tout génétique est une impasse autant que le tout social. Face à cet aveu de lieu commun intellectuel, je retrouve naturellement les techniques socratiques du lycée pour interpeller,
inquiéter et arrêter l'esprit, capter l'attention de mon interlocuteur qui, de fait, semble réellement désireux d'avancer sur ce sujet. J'argumente : Lui dont chacun sait l'hétérosexualité - elle fut amplement montrée sur papier couché, sinon couchée sur papier montré.-, a-t-il eu le choix un jour entre son mode de sexualité et un autre ? Se souvient-il du moment où il a essayé l'homosexualité, la pédophilie, la zoophilie, la nécrophilie afin de décider ce qui lui convenait le mieux et d'opter, finalement, et en connaissance de cause, pour l'hétérosexualité ? Non bien sûr. Car la forme prise
par sa sexualité est affaire non pas de choix ou de génétique, mais de genèse existentielle. Si nous avions le choix, aucun pédophile ne choisirait de l'être.
L'argument le stoppe. Il me semble qu'à partir de ce moment, le candidat aux présidentielles, le ministre de l'intérieur, l'animal politique haut de gamme laisse le pas à l'homme, fragile, inquiet, ostensiblement hâbleur devant les intellectuels, écartant d'un geste qui peut être méprisant le propos qui en appelle aux choses
de l'esprit, à la philosophie, mais finalement trop fragile pour s'accorder le luxe d'une introspection ou se mettre à la tâche socratique sans craindre de trouver dans cette boîte noire l'effroyable cadavre de son enfance. Dans la conversation, il confie qu'il n'a jamais rien entendu d'aussi absurde que la phrase de Socrate « Connais-toi toi-même ». Cet aveu me glace - pour lui. Et pour ce qu'il dit ainsi de lui en affirmant pareille chose. Cet homme tient donc pour vain, nul, impossible la connaissance de soi ? Autrement dit, cet aspirant à la conduite des destinées de la nation française croit qu'un savoir sur soi est une entreprise vaine ? Je tremble à l'idée que, de
fait, les fragilités psychiques au plus haut sommet de l'Etat, puissent gouverner celui qui règne ! Lors de sa parution, j'avais lu Le pouvoir et la vie de Valéry
Giscard d'Estaing qui racontait ses crises d'angoisse, ses inhibitions le paralysant dans son véhicule militaire de parade le 14 juillet sur les Champs Elysées, ses prétextes pour quitter le conseil des ministres afin de subir une injection de calmant, son désir de se faire psychanalyser (par Lacan !) pendant son septennat, etc. Je me souvenais de confidences faites par tel ami bien informé sur l'état psychique fort peu reluisant de Jacques Chirac après la dissolution et sur le type de traitement psy qu'il
suivait à cette époque. Je me rappelais la fin d'un François Mitterrand , entre voyantes et reliques de sainte Thérèse, invocations des forces de l' esprit , croyance en l' au-delà et abandon aux médecines de perlimpinpin. Et je voyais là, dans le regard devenu calme du fauve épuisé par sa violence, un vide d'homme perdu qui, hors politique, se défie des questions car il redoute les réponses, et qui, dès qu'il sort de son savoir faire politicien, craint les interrogations existentielles et philosophiques car il appréhende ce qu'elles pourraient lui découvrir de lui qui court tout le temps pour n'avoir pas à s'arrêter sur lui-même. Les soixante minutes techniquement consenties s'étaient allongées d'une trentaine d'autres. Les deux rôles en costumes qui le flanquaient jouaient le sablier. Je trouvais l'heure venue pour offrir mes cadeaux. Au ministre de l'intérieur adepte des solutions disciplinaires : Surveiller et punir de Michel Foucault ; au catholique qui confesse que, de temps en temps, la messe en famille l'apaise : L'Antéchrist de Nietzsche ; pour le meurtre du père, le chef de la horde primitive : Totem et tabou de Freud ; pour le libéral qui écrit que 'antilibéralisme c'est « l'autre nom du communisme » ( il dit n'avoir pas dit ça, je sors mes notes et précise le livre, la page.) : Qu'est-ce que la propriété ? de Proudhon. Comme un enfant un soir de Noël, il déchire avidement. Il ajoute : « j'aime bien les cadeaux ». Puis : « Mais je vais donc être obligé de vous en faire alors ? ». Comme prévu. Dans l'entrebâillement de la porte de son bureau, la tension est tombée. Qui prend l'initiative de dire que la rencontre se termine mieux qu'elle n'a commencé ? Je ne sais plus. Il commente : « Normal, on est deux bêtes chacun dans notre genre, non ? Il faut que ça se renifle des bêtes comme ça. ». Je suis sidéré du registre : l'animalité, l'olfaction, l'odorat. Le degré zéro de l'humanité donc. Je le plains plus encore. Je conçois que Socrate le plongerait dans des abîmes dont il ne reviendrait pas. Du moins : dont l'homme politique ne reviendrait pas. Ou, disons le autrement : dont l'homme politique reviendrait, certes, mais en ayant laissé derrière lui sa défroque politique pour devenir enfin un homme. Alors que ses cerbères le prennent presque par la manche, il manifeste le désir de continuer cette conversation, pour le plaisir du débat et de l'échange, afin d'aller plus loin. Tout de go, il me propose de l'accompagner, sans journalistes - il fait un mouvement de bras dans la direction des comparses de Philosophie magazine comme pour signifier leur congé dans un geste qui trahit ce qu'il pense probablement de toute la corporation. Je refuse. Une autre
fois ? Les deux amis ont leurs deux paires d'yeux qui clignotent comme des loupiotes. Voyons donc pour plus tard. Dernier mot de Nicolas Sarkozy en forme de lapsus, il est mouvement vers la sortie : « Je suis quand même un drôle de type, non ? Je dois convaincre soixante-cinq millions de français, et je vous dis, là, que je voudrais continuer la conversation ! Hein ? Non ? Il n'y a pas autre chose à faire ? Quand même. ». Soixante-cinq millions c'est le nombre des français à convaincre d'amour, pasceluides électeursàconvaincredevoter.(Asuivre...)

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Les élections présidentielles françaises - le danger Sarkozy

Serge Portelli, membre du syndicat de la magistrature, devait éditer ces jours un ouvrage aux Editions Michalon : Ruptures.
Ce livre dresse un bilan de l'action de Nicolas Sarkozy en tant que ministre de l'Intérieur.
Les Editions Michalon ont retardé la parution de ce travail. Il sortira, qui sait, après les élections. Il semblerait que l'éditeur ait cédé à certaines pressions.

Il vaut la peine de lire ce texte avant de glisser un bulletin dans l'urne.
Les "tentations" de M. Sarkozy sont dangereuses.



http://www.laral.ch/ruptures Voir également le site www.betapolitique.fr

 

 

Septembre 2007

Darwinn, dessine moi les hommes de Claude Combes

Réflexions de Claude Combes sur « l’évolution »
auteur de « Darwin, dessine moi les hommes », en 2001
http://www.futura-sciences.com/fr/comprendre/carte-blanche/scientifique/t/vie-2/d/combes_10/#anchorbio

Pour Leigh Van Valen, de l'Université de Chicago, le moteur principal de l'évolution de toute espèce vivante est représenté par les autres espèces avec lesquelles cette espèce partage des ressources. Tout progrès dans la valeur adaptative d'une espèce quelconque modifie l'environnement des espèces qui l'entourent et les oblige à s'adapter. Cette adaptation provoque à son tour un changement dans l'environnement de la première espèce, ce qui la pousse à un nouvel épisode de sélection, et ainsi de suite. Cela se produit parce que les ressources sont limitées. Van Valen a baptisé cette proposition du nom d'hypothèse de la Reine Rouge.
L'expression "Reine Rouge" est empruntée au roman de Lewis Caroll "A travers le miroir", dans laquelle Alice tient la Reine Rouge par la main et court avec elle au pays des Merveilles. Alice, surprise que le paysage autour d'elles ne change pas, interroge la Reine, qui lui répond qu'elles courent pour rester sur place et que c'est pourquoi le paysage leur paraît immobile. Il en va de même dans les co-évolutions: les espèces en conflit courent, c'est à dire "inventent" sans cesse de nouvelles adaptations, mais la valeur relative de chacune de ces adaptations ne change pas: nous, les hommes, par exemple, ne sommes pas mieux adaptés pour exploiter notre milieu que les bactéries pour exploiter le leur -les bactéries font même beaucoup mieux que nous, puisqu'elles sont capables de vivre dans des milieux qui nous sont interdits, comme le fond des océans, le c¦ur des glaciers ou les nappes pétrolifères. Mais si, en termes d'adaptation, nous ne sommes pas supérieurs aux bactéries, nous leur sommes en revanche très supérieurs en termes de complexité.
L'hypothèse de la Reine Rouge présente d'ailleurs l'avantage d'expliquer l'accroissement ininterrompu de la complexité qui, depuis les origines, a conduit l'être vivant de l'état de molécule à celui d'Homo sapiens, dont le cerveau est l'objet le plus complexe du cosmos, avec ses 10 à 100 milliards de neurones, chacun relié à d'autres neurones par un millier de synapses en moyenne. Si l'hypothèse de la Reine Rouge est exacte, l'évolution c'est... les autres. Accorder crédit à l'hypothèse de la "Reine Rouge" n'empêche nullement d'admettre que les grands évènements physiques qui ont affecté la planète - l'émergence des terres, la dérive des continents, les grandes éruptions volcaniques, les fluctuations climatiques, etc. - aient joué un rôle essentiel à certains moments de l'évolution, donnant à cette dernière un caractère bien moins "gradualiste" qu'on ne le croyait jadis. (Les découvertes récentes sur les gènes homéotiques, qui contrôlent le développement, montrent aussi que la mutation d'un seul ou d'un petit nombre de gènes peut entrainer des changements profonds et rapides dans la morphologie des organismes).
Mais l'hypothèse de la Reine Rouge présente un autre intérêt encore: elle permet d'expliquer pourquoi est apparue la sexualité. Dans la course-poursuite évoquée plus haut, chaque adversaire doit disposer d'un réservoir de diversité génétique aussi vaste que possible pour pouvoir répondre aux "inventions" de l'autre, c'est-à-dire aux caractères innovants codés par ses gènes. Plus une espèce dispose de diversité génétique et plus elle est capable de répondre à la diversité de l'autre. On le comprendra mieux en évoquant à nouveau la relation parasites-hôte. Si une population de parasites était formée d'individus génétiquement identiques, ses hôtes trouveraient très vite le moyen de les détruire. C'est d'ailleurs ce qui passe en agriculture avec les plantes clonées: si un virus s'attaque à l'une de ces plantes et la fait mourir, toutes les plantes de même génome mourront aussi; en revanche, si les plantes d'un même champ sont, génétiquement, un peu différentes, certaines d'entre elles au moins auraient une chance de se défendre. Bref, pour survivre, les organismes vivants, qu'ils soient hôtes ou parasites, doivent générer constamment de la diversité, de la même manière qu'Alice et la Reine Rouge doivent courir constamment.
Pour un organisme minuscule, un virus ou une bactérie par exemple, il n'est pas très difficile de générer de la diversité. Son temps de génération étant extrêmement bref (certaines bactéries peuvent se reproduire toutes les dix minutes), un tel organisme peut muter souvent, à chaque génération même, c'est-à-dire générer une diversité infinie. En revanche, pour un éléphant, un cheval ou, bien sûr, un homme, le temps de génération étant beaucoup plus long, les possibilités de mutations sont beaucoup plus rares, trop rares pour assurer une diversité qui suffisent à leur donner de bonnes chances de se défendre contre les bactéries et les virus. C'est pourquoi, c'est du moins l'hypothèse que l'on fait, la sexualité est apparue. En effet, la femelle sexuée ne transmet à la génération suivante que la moitié de ses gènes, l'autre moitié étant fournie par le mâle. Le génome de l'enfant qui va naître de cette union sera donc une combinaison génomique neuve, à nulle autre pareille, gage dans la durée d'une formidable diversité génétique, avantage inestimable dans la course-poursuite infinie que se livrent l'hôte et son parasite. De plus, au cours de la méïose qui donne naissance aux gamètes, les gènes sont "recombinés", d'une part parce que les chromosomes paternels et maternels sont distribués aléatoirement dans les ovules ou les spermatozoïdes, d'autre part parce que les chromosomes d'une même paire échangent entre eux des fragments d'ADN. Ainsi naissent de nouvelles combinaisons géniques.
Normalement, l'évolution se fait parce qu'il y a transmission aux descendants de gènes mutés ou de génomes recombinés. Mais, comme l'explique Kevin Laland, de l'Université de Cambridge, le jour où l'homme a su tailler un caillou pour en faire un outil, il a pu transmettre des informations à ses descendants - des connaissances, des croyances, du savoir-faire technologique - sans le secours de ses gènes. La culture était née, qui allait changer le cours de l'Evolution. C'est pourquoi l'on parle aujourd'hui de co-évolution culture-génome.
Chez les chasseurs-cueilleurs de la préhistoire, les individus se croisaient de manière plus ou moins aléatoire, avaient des enfants, la sélection naturelle opérait, etc. Puis l'agriculture fut inventée, ce fut le premier grand coup de canif infligé par la culture à la sélection génétique classique. Elle permit en effet que de petites inégalités initiales entre les individus se traduisent par la possession de terres et l'accumulation de richesses. Des inégalités de plus en plus grandes se sont alors manifestées, d'où sont nés les royaumes, les empires et les féodalités. Cette forte hiérarchisation des humains a considérablement perturbé la transmission naturelle des gènes. Matt Ridley montre que, jusqu'à une date très récente, le "pouvoir" a toujours été associé à la production du plus grand nombre possible de descendants. Il cite l'empereur chinois Fei-Ti (5ème siècle après J.-C., dynastie Nan) et ses 10.000 concubines. Laura Betzig rapporte quant à elle que les empereurs de la dynastie Tang (7 et 8ème siècles après J.-C.) allaient jusqu'à faire tenir un agenda détaillé des dates de menstruation de leurs concubines afin de ne pas gaspiller leur sperme. Bien d'autres pratiques culturelles modifient aussi les caractères génétiques des populations humaines, à commencer par l'infanticide des filles, traditionnel dans certaines sociétés, qui déséquilibre la proportion des sexes et modifie en conséquence la circulation des gènes.
Et l'on peut même penser que les progrès modernes de la médecine contrarient la sélection des gènes de résistance aux maladies. Les gènes qui provoquent par exemple le diabète, les allergies ou la myopie sont aujourd'hui libres de se répandre dans les populations, alors qu'ils eussent été certainement contre-sélectionnés à d'autres époques. Dans la préhistoire, les myopes par exemple, parce qu'ils étaient les derniers à voir le lion arriver, n'avaient sans doute guère de chances de pouvoir transmettre leurs gènes !
Je me demande par ailleurs si l'affaiblissement actuel de la structure familiale occidentale, qui modifie elle aussi la circulation des gènes (d'un point de vue génétique, ce n'est pas pareil de faire ses enfants toute la vie avec la même femme ou avec le même homme, ou de les faire de manière désordonnée), ne relève pas, lui aussi, d'un processus de co-évolution culture-génome. Pourquoi d'ailleurs la famille se désagrège-t-elle ? Une explication possible est que l'accélération des acquisitions culturelles est telle, aujourd'hui, que les parents ne peuvent désormais transmettre à leurs enfants que des concepts démodés, raison pour laquelle les enfants enrichissent davantage leurs connaissances auprès d'individus de la même génération que d'individus des générations précédentes -grands-pères et grands-mères ont perdu leur pouvoir.
Est-il utile de dire enfin que les interventions directes sur le génome humain, qui se feront au cours du millénaire qui vient de commencer, relègueront les processus naturels au rang d'accessoires obsolètes ?
J'ai beaucoup parlé de "la" culture, comme s'il n'y en avait qu'une. En réalité il en existe beaucoup, qui se sont développées séparément parce que situées à l'origine dans des espaces géographiques cloisonnés. Aujourd'hui, en revanche, toutes les cultures sont en contact les unes avec les autres. Si un processus de Reine Rouge, de course-poursuite, s'installait entre elles, elles pourraient survivre les unes et les autres en s'enrichissant et se renforçant mutuellement. Mais hélas! elles semblent avoir tendance à se heurter plutôt dans un processus "darwinien" d'exclusion compétitive. Il faudrait en effet, pour qu'une co-évolution fructueuse puisse s'installer entre les cultures, que leurs forces ne soient pas trop disparates. Deux ou trois ans après que l'on eut introduit des chats dans certaines îles de l'archipel des Kerguelen, tous les oiseaux avaient disparu, parce que le déséquilibre entre les "forces" en présence des chats et des oiseaux était trop grand.
Je crains que de la même manière dans le monde une seule culture ne finisse par écraser toutes les autres