John Gelder

Ecrivain, éditeur PARC


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John Gelder sollicite la curiosité et nous invite ironiquement à penser, nous, promeneurs candides, saturés d'informations parcellaires et nourris de confuses rumeurs ; à penser, si nous en sommes encore capables, homo urbains-sapiens (Ss) mystifiés. Sa démonstration maïeutique nous amuse puis, dans un deuxième temps, nous provoque. Nous voilà devenus des esprits prévenus. Nous ne rions plus. Une science désenchantée ? Pas sûr ; depuis les grottes, sans doute, la réflexion habite un esprit construit pour l'inquiétude et non pour la désolation. De façon péremptoire John Gelder nous incite, nous oblige à imaginer ce qu'il désigne comme la « surprise » d'une « sextuple » modification aux confins du meilleur et du pire des mondes possibles.

Isabelle DORMION

EXTRAITS

les hordes sauvages de la haute technologie (p. 49)

XIXe siècle : à peine le « mythe industriel » s'annonce-t-il, qu'on a le toupet de parler d'une sortie des « âges mythiques » - mais chaque siècle engendre sa sottise. On pense moderne et même progrès, c'est dire que, croyant avoir une pensée pour tout, on cogito tant de travers que ergo nocend sum. Le Moyen Âge, lui aussi, est loin. On possède le monde, on va vous le faire progresser vers un avenir, radieux de surcroît. Les colonies ? Infestées de fièvres, danger pour la santé, il est vrai. Un coup de fil sur la machine phonique d'Edison, et on engage Mendel et Pasteur. Stephenson est en charge de la locomotive. Emmanuel Kant a réaménagé la loi du talion quant au viol, à la bestialité et à l'homosexualité en concoctant de nouvelles peines de mort ou de castration catégoriques. Des hommes pareils, ça vous sort des désordres et des atrocités de la préhistoire. On veut des gestionnaires, du concret loin des délires ou des phantasmes. D'ailleurs, qui « invente » l'évolution des espèces ? Darwin, mon cher, un homme du xixe et pas le moindre. Ami des premiers ethnopaléonto-archéologues, il en sait un rayon sur celui qui va recevoir le nom de Néandertal. Ici on unifie les Länder, là on invente la Belgique, on peaufine les nations et on met tout ce petit monde au travail. La Force de frappe du travail et de l'argent gravit quelques degrés sur l'échelle de l'évolution sous l'Ïil paterne (toujours !) d'industriels et de théoriciens ad hoc. « Arbeitswesen der bürgerliche Gesellschaft » ? (Marx : L'être au travail de la société bourgeoise.) « Le capital est si grand qu'il fait advenir les travailleurs (Tibon-Cornillot) », tout comme le christianisme fit advenir l'esclave, le souffrant, le faible en tant qu'objet de saint marchandage ; rien à voir avec du mythe, peut-être, mais tout à voir, déjà, avec la structuration de l'avenir selon cette force de frappe de la sélection naturelle que la rationalité activiste inflige à l'Occident. On est à la veille de quelques charniers inédits, d'un processus de multiplication de chair à canon, on mesure des crânes, c'est à peine si on ne songe déjà à des chambres à gaz et autres percées techniques en vue d'exterminations massives.

Tenez, dans le site de Zauschwitz (Brandebourg) on vient de mettre à jour six squelettes datant du Néolithique, dont les os et les crânes avaient été brisés pour en extraire moelle et cerveau avec, en prime, un collier confectionné à partir de dents humaines... (Guilaine/Zammit) Cela se passait au temps où les scribes rédigeaient la Bible et Homère son Odyssée. Zauschwitz ! non, vous ne rêvez pas, un véritable pénomène de «synchronicité» spatio-temporelle. Auschwitz, le presque éponyme, se profile déjà à l'horizon polonais comptabilisant, chose normale vu la démographie, six millions d'amas osseux agrémentés à présent - le progrès est le progrès - de dents en or et autres prothèses.

Ce qui n'empêche qu'en même temps, monsieur et madame Bourgeois, s'informant, lors de discussions de salon, sur les sauvages visités, humés, palpés par les ethnologues au service des empires coloniaux, apprennent, avec des airs de chochottes scandalisées, que « l'inceste, le cannibalisme et le parricide emplissent les récits des Peaux-Rouges ; le vol, l'adultère et les cruautés abominables fleurissent dans les mythologies de l'Afrique et de l'Océanie ». Les bêtes ! Ça fait belle lurette, allons !, que « la projection de l'hostilité inconsciente sur les démons » n'est plus un de ces processus « auxquels on doit attribuer la plus grande influence sur la formation de notre vie psychique... ». Mauvaise langue, ce Freud ! On n'est pas des malades de la première heure, nous. Chez des gens comme nous, on ne délire pas, monsieur, on compte nos sous, et le Seigneur gère notre infinie foi en l'avenir de l'humanité.

Va-t-on enfin comprendre que les mythes ne s'en sont jamais allés, ni les « élégantes manières » ou les hauts faits qui les alimentent ? Et qu'il y a analogie, aujourd'hui, entre Haute Technologie et Haute Mythologie ? Et que les hordes sauvages « parlent encore la langue des premiers mythes (Detienne)», dix mille, vingt mille, cinquante mille ans après ? Les mythologues ont beau situer, dans leurs fines analyses, le pays des muthôs « quelque part aux confins du monde de la mémoire ou de l'oubli », force est de se rappeler que le principe de réalité entend plus que jamais le refoulé archaïque 42. Que, parcelle après parcelle, le « matériel du refoulé » fait retour et vient réinvestir ce principe avec sa charge névrotique, l'invitant à reprendre du service en le replaçant là où il continue son sacerdoce de l'abominable et du tragique originaires : au sein des États-nations d'ici et maintenant, au cÏur du dispositif financier et militaro-industriel où chaque âme, peu ou prou impliquée dans le scandale, détient, fût-ce à son petit corps pulsionnel défendant, sa part d'esprit de « collaboration ». Investissements et contre-investissements pulsionnels collectifs ? Ou encore l'éternel retour destinal du même, sous les formes multiples que décrète cet implacable principe de réalité, lequel est loin d'être - on l'aura deviné - un principe de justice humaine trop humaine...

Édition d'écrits inédits: john gelder s'engage pour d'autres auteurs

http://lacunar.org/HospitaliteDuDesastre.html

OBJET PERDU

(Jusque dans les peintures, dessins et photos, la fiction et la réflexion jouent dans cette entreprise un rôle privilégié et interactif. C'est qu'ensemble, elles permettent d'élaborer empiriquement des modèles, de bricoler de la synthèse, bref, une forme de sagesse : mettre les spéculations de l'humain à l'étiage de ce qui les origine : le corps. Mais un corps exposé à cette perte dont il était question plus haut : le corps de la dépense effrénée, objet de marchandage ou déchet de marchandise. Là où le philosophe professionnel a tout loisir de rester dans la généralité, dans le "triste empire du concept" (Schiller), avec le risque de créer des êtres de raison, comme disaient les scolastiques, c'est-à-dire des notions qui ne peuvent exister que dans le discours, l'homme de la fiction -- écrite ou peinte --, est porté à cet enracinement dans le concret, donc à un certain vraisemblable et à une certaine viabilité.) (D. Noguez)


Libération : « Ce volume rassemble plusieurs dizaines de conributions d'écrivains, de poètes, de plasticiens et de photographes, dont le thème commun pourrait être "ce qui tourmente la société d'aujourd'hui, ce négatif qui remonte à la surface depuis l'effondrement des mythes et des idéologies". Ce négatif est étudié ici à travers le prisme du corps "objet perdu", "machine à ratés", de qui cependant pourrait sourdre la force d'un renouveau. »

Quinzaine Littéraire : « Objet à ne pas perdre, à contempler longuement,... à lire attentivement,... à scruter dans le détail afin de s'imbiber du tout. »



Quatre auteurs d'Objet Perdu à Bruxelles, 1992. De gauche à droite : M. Houellebecq, W. Cliff, D. Noguez, J. Gelder.

Le dernier livre de John 2006

Sucer le miel au creux des pierres


John Gelder lu par Alexandre Cadet-Petit,
Sucer le miel au creux des pierres parue dans Antilla 1256, 18 juillet 2007. Il y a quelque chose de grandiose dans cet ouvrage. ...

http://lacunar.org/john-gelder_cadet-petit.html

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PASSAGE VERLAINE


Francis Bacon (1909, Dublin - 1992, Madrid) dans son atelier (1977)
le principe de moindre résistance
De John Gelder

Comment se libérer des chaines du passé si ce n’est en les épousant et en les absorbant au plus profond de ses entrailles ?

Luc quinquagénaire à la retraite se retrouve propriétaire d’un immeuble parisien, héritage de son grand-oncle. Il choisit sous la menace permanente de ses co-locataires « la horde sauvage » comme il les désigne, de se terrer au sous sol et de pratiquer l’immobilisme défensif.

Les ombres, les fantômes et la Mort règnent sur un monde étrange et poétique où il est question d’être ou de ne pas être. C’est un enfer où les bassesses de l’humain deviennent la règle à suivre ; pures délices et jouissances à prolonger indéfiniment. « Il faut apprendre à couler très bas, au nadir. Cette traversée sera longue mais chargée d’infinies promesses » souffle les voix impénétrables de l’au-delà

L’amour rode, parle, s’enfuit mais revient toujours. Il est comme un vol de vautours, insaisissable, meurtrier et omniscient. Sa démesure est impossible à réguler. Absence, présence ne sont là que pour nous signifier qu’il nous faut franchir les limites des évidences, grandir vers un mystère qui nous dépasse, un trou noir qui serait la logique elle même.

Ecorché vif est notre héros pour une rédemption qui ne peut se faire que selon le principe de moindre résistance au temps assassin, aux objets vampires du quotidien qui avalent notre âme, aux amours éternels qui se délectent de notre sang.

Un roman fascinant, tendre et cruel qui agit par petites touches burlesques et dramatiques à la fois pour nous piquer et nous faire dériver en questionnement de nous-mêmes et de nos actes inachevés, en quête d’un sens qu’il nous faut creuser au fil du jour ennemi qui passe.

De Florence Issac le 13/12/09